Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/19

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— Y a-t-il longtemps qu’elle est sortie, Joe ? dis-je, car je le traitais toujours comme un enfant, et le considérais comme mon égal.

— Hem ! dit Joe en regardant le coucou hollandais, il y a bien cinq minutes qu’elle est partie en fureur… mon petit Pip. Elle revient !… Cache-toi derrière la porte, mon petit Pip, et rabats l’essuie-mains sur toi. »

Je suivis ce conseil. Ma sœur, Mrs Joe, entra en poussant la porte ouverte, et trouvant une certaine résistance elle en devina aussitôt la cause, et chargea Tickler de ses investigations. Elle finit, je lui servais souvent de projectile conjugal, par me jeter sur Joe, qui, heureux de cette circonstance, me fit passer sous la cheminée, et me protégea tranquillement avec ses longues jambes.

« D’où viens-tu, petit singe ? dit Mrs Joe en frappant du pied. Dis-moi bien vite ce que tu as fait pour me donner ainsi de l’inquiétude et du tracas, sans cela je saurai bien t’attraper dans ce coin, quand vous seriez cinquante Pips et cinq cents Gargerys.

— Je suis seulement allé jusqu’au cimetière, dis-je du fond de ma cachette en pleurant et en me grattant.

— Au cimetière ? répéta ma sœur. Sans moi, il y a longtemps que tu y serais allé et que tu n’en serais pas revenu. Qui donc t’a élevé ?

— C’est toi, dis-je.

— Et pourquoi y es-tu allé ? Voilà ce que je voudrais savoir, s’écria ma sœur.

— Je ne sais pas, dis-je à voix basse.

— Je ne sais pas ! reprit ma sœur, je ne le ferai plus jamais ! Je connais cela. Je t’abandonnerai un de ces jours, moi qui n’ai jamais quitté ce tablier depuis que tu es au monde. C’est déjà bien assez d’être la femme