Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/240

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littéralement en me voyant si changé ; son visage de coquille de noix passa instantanément du brun au vert et du vert au jaune.

« Toi !… fit-elle !… toi, bon Dieu !… que veux-tu ?

— Je vais partir pour Londres, miss Pocket, dis-je, et je désirerais vivement faire mes adieux à miss Havisham. »

Sans doute on ne m’attendait pas, car elle me laissa enfermé dans la cour, pendant qu’elle allait voir si je devais être introduit. Elle revint peu après et me fit monter, sans cesser de me regarder durant tout le trajet.

Miss Havisham prenait de l’exercice dans la chambre à la longue table. Elle s’appuyait comme toujours sur sa béquille. La chambre était éclairée, comme précédemment par une chandelle. Au bruit que nous fîmes en entrant, elle s’arrêta pour se retourner. Elle se trouvait justement en face du gâteau moisi des fiançailles.

« Vous pouvez rester, Sarah, dit-elle. Eh ! bien, Pip ?

— Je pars pour Londres demain matin, miss Havisham. »

J’étais on ne peut plus circonspect sur ce que je devais dire.

« Et j’ai cru bien faire en venant prendre congé de vous.

— C’est très-bien, Pip, dit-elle en décrivant un cercle autour de moi avec sa canne, comme si elle était la fée bienfaisante qui avait changé mon sort, et qui eût voulu mettre la dernière main à son œuvre.

— Il m’est arrivé une bien bonne fortune depuis la dernière fois que je vous ai vue, miss Havisham, murmurai-je, et j’en suis bien reconnaissant, miss Havisham !

— Là ! là ! dit-elle, en tournant les yeux avec délices vers l’envieuse et désappointée Sarah, j’ai vu M. Jag-