Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/260

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Ainsi donc vous n’êtes encore jamais venu à Londres ? me dit M. Wemmick.

— Non, dis-je.

— J’ai moi-même été autrefois aussi neuf que vous ici, dit M. Wemmick, c’est une drôle de chose à penser aujourd’hui.

— Vous connaissez bien tout Londres, maintenant ?

— Mais oui, dit M. Wemmick, je sais comment tout s’y passe.

— C’est donc un bien mauvais lieu ? demandai-je plutôt pour dire quelque chose que pour me renseigner.

— Vous pouvez être floué, volé et assassiné à Londres ; mais il y a partout des gens qui vous en feraient autant.

— Il y a peut-être quelque vieille rancune entre vous et ces gens-là ? dis-je pour adoucir un peu cette dernière phrase.

— Oh ! je ne connais pas les vieilles rancunes, repartit M. Wemmick. Il n’y a guère de vieille rancune quand il n’y a rien à y gagner.

— C’est encore pire.

— Vous croyez cela ? reprit M. Wemmick.

— Ma foi, je ne dis pas non. »

Il portait son chapeau sur le derrière de la tête et regardait droit devant lui, tout en marchant avec indifférence dans les rues comme s’il n’y avait rien qui pût attirer son attention. Sa bouche était ouverte comme le trou d’une boîte aux lettres, et il avait l’air de sourire machinalement. Nous étions déjà en haut d’Holborn Hill, avant que j’eusse pu me rendre compte qu’il ne souriait pas du tout, et que ce n’était qu’un mouvement mécanique.