Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/53

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mais, parlant pour le Roi, je réponds que je viens pour affaires. »

Ce petit discours fut accueilli par la société comme une chose plutôt agréable que désagréable, et M. Pumblechook murmura d’une voix convaincue :

« Bien dit, sergent.

— Vous voyez, forgeron, continua le sergent qui avait fini par découvrir Joe ; nous avons eu un petit accident à ces menottes ; je trouve que celle-ci ne ferme pas très-bien, et comme nous en avons besoin immédiatement, je vous prierai d’y jeter un coup d’œil sans retard. »

Joe, après y avoir jeté le coup d’œil demandé, déclara qu’il fallait allumer le feu de la forge et qu’il y avait au moins pour deux heures d’ouvrage.

« Vraiment ! alors vous allez vous y mettre de suite, dit le sergent ; comme c’est pour le service de Sa Majesté, si un de mes hommes peut vous donner un coup de main, ne vous gênez pas. »

Là-dessus, il appela ses hommes dans la cuisine. Ils y arrivèrent un à un, posèrent d’abord leurs armes dans un coin, puis ils se promenèrent de long en large, comme font les soldats, les mains croisées négligemment sur leurs poitrines, s’appuyant tantôt sur une jambe, tantôt sur une autre, jouant avec leurs ceinturons ou leurs gibernes, et ouvrant la porte de temps à autre pour lancer dehors un jet de salive à plusieurs pieds de distance.

Je voyais toutes ces choses sans avoir conscience que je les voyais, car j’étais dans une terrible appréhension. Mais commençant à remarquer que les menottes n’étaient pas pour moi, et que les militaires avaient mieux à faire que de s’occuper du pâté absent, je repris encore un peu de mes sens évanouis.