Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/90

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brasserie, un sifflement aigu, semblable au bruit de la tempête battant les agrès d’un navire.

Elle vit que je regardais du côté de la brasserie, et elle me dit :

« Tu pourrais boire tout ce qui se brasse de bière là-dedans, aujourd’hui, sans te faire de mal, mon garçon.

— Je le crois bien, mademoiselle, répondis-je d’un air rusé.

— Il vaut mieux ne pas essayer de brasser de la bière dans ce lieu, elle sûrirait bientôt, n’est-ce pas, mon garçon ?

— Je le crois, mademoiselle.

— Ce n’est pas que personne soit tenté de l’essayer, ajouta-t-elle, et la brasserie ne servira plus guère. Quant à la bière, il y en a assez dans les caves pour noyer Manor House tout entier.

— Est-ce que c’est là le nom de la maison, mademoiselle ?

— C’est un de ses noms, mon garçon.

— Elle en a donc plusieurs, mademoiselle ?

— Elle en avait encore un autre, l’autre nom était Satis, qui, en grec, en latin ou en hébreu, je ne sais lequel des trois, et cela m’est égal, veut dire : Assez.

— Maison Assez ? dis-je. Quel drôle de nom, mademoiselle.

— Oui, répondit-elle. Cela signifie que celui qui la possédait n’avait besoin de rien autre chose. Je trouve que, dans ce temps-là, on était facile à contenter. Mais dépêchons, mon garçon. »

Bien qu’elle m’appelât à chaque instant : « Mon garçon », avec un sans-gêne qui n’était pas très-flatteur, elle était de mon âge, à très-peu de chose près. Elle paraissait cependant plus âgée que moi, parce qu’elle