Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/193

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l’œil unique, en le dirigeant amicalement vers M. Snodgrass.

Le pickwickien répondit à cette politesse comme il convenait.

« J’aime toujours à entendre un bon argument, continua le commis voyageur ; un argument frappant comme celui-ci. C’est fort instructif. Mais cette petite discussion sur les femmes m’a fait souvenir d’une histoire que j’ai entendu raconter à mon oncle. C’est ce qui m’a fait dire tout à l’heure qu’il y a des choses plus drôles que les femmes.

— Je voudrais bien entendre cette histoire-là, dit l’homme au cigare et au visage rouge.

— Votre parole d’honneur ? répliqua laconiquement le commis voyageur ; et il continua à fumer avec grande véhémence.

— Et moi aussi, ajouta M. Tupman, qui parlait pour la première fois, et qui était toujours désireux d’augmenter son bagage d’expérience.

— Et vous aussi ? Eh bien ! je vais vous la raconter. Pourtant ce n’est pas trop la peine ; je suis sûr que vous ne la croirez pas. »

Et pendant que le commis voyageur parlait ainsi, son œil solitaire clignait d’une façon singulièrement malicieuse.

« Si vous m’assurez que l’histoire est vraie, je la croirai certainement, dit M. Tupman.

— Moyennant cette condition, je vais vous la raconter. Avez-vous entendu parler de la maison Bilson et Slum ? Au reste, que vous en ayez entendu parler ou non, cela ne fait pas grand’chose, puisqu’ils sont retirés du commerce depuis longtemps. Il y a quatre-vingts ans que l’histoire en question arriva à un commis voyageur de cette maison ; il était ami intime avec mon oncle, et mon oncle m’a raconté l’histoire à peu près comme vous allez l’entendre. Il l’appelait

L’HISTOIRE DE TOM SMART, LE COMMIS VOYAGEUR.

Par une soirée d’hiver, au moment où l’obscurité commençait à tomber, on aurait pu voir sur la route qui traverse le plateau de Marlborough, une carriole, et dans cette carriole un homme qui pressait son cheval fatigué. Je dis qu’on aurait pu voir, et je n’ai pas le moindre doute qu’on aurait vu, s’il était passé par là quelque personne qui n’eût pas été aveugle. Mais la saison était si froide et la nuit si pluvieuse, qu’excepté l’eau qui tombait il n’y avait pas un chat dehors. Si un commis voya-