Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/206

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— Eh bien ! dites, demanda la veuve en le regardant avec attention.

— Je vais vous étonner, répliqua-t-il, en mettant la main dans sa poche.

— Si c’est qu’il n’a pas d’argent, je sais cela déjà et ce n’est pas la peine de vous déranger.

— Pouh ! cela n’est rien. Moi non plus, je n’ai point d’argent ! Ce n’est pas ça.

— Oh ! mon Dieu ! qu’est-ce que c’est donc ? s’écria la pauvre femme.

— Ne vous effrayez pas, reprit Tom en tirant la lettre. Et ne criez pas : poursuivit-il en dépliant lentement le papier.

— Non ! non ! laissez-moi voir.

— Vous n’allez pas vous trouver mal ni vous livrer à d’autres démonstrations de ce genre ?

— Non, je vous le promets.

— Ni vous précipiter vers la salle commune pour lui dire son affaire ? ajouta Tom ; car, voyez-vous, je ferai tout ça pour vous : ce n’est donc pas la peine de vous agiter.

— Allons, allons, fit la veuve, laissez-moi lire.

— Voilà, » répliqua Tom Smart, qui plaça la lettre dans les mains de la veuve.

Les lamentations de la pauvre femme, quand elle en eut pris lecture, auraient percé un cœur de pierre. Tom avait toujours eu le cœur très-tendre, aussi fut-il percé de part en part. La veuve se roulait sur sa chaise en se tordant les mains.

« Oh ! la trahison ! oh ! la scélératesse des hommes ! s’écriait-elle.

— Effroyables, ma chère dame ; mais calmez-vous.

— Non ! Je ne veux pas me calmer ! sanglotait la veuve. Je ne trouverai jamais personne que je puisse aimer comme lui.

— Si, si, oh ! si, ma chère dame ! » s’écria Tom Smart en laissant tomber une pluie d’énormes larmes sur les infortunes de la veuve. Il avait passé un bras autour de sa taille, dans l’énergie de sa compassion ; et la veuve, dans son transport de chagrin, avait serré la main de Tom. Elle regarda le visage du voyageur et elle sourit à travers ses larmes : Tom se pencha vers elle, il contempla ses traits, et il sourit aussi à travers ses pleurs.

Je n’ai jamais pu découvrir si Tom embrassa la veuve dans ce moment-là. Il disait souvent à mon oncle qu’il n’en avait rien fait, mais j’ai des doutes là-dessus. Entre nous, messieurs, je m’imagine qu’il l’embrassa.