Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/216

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blement un uniforme de feld-maréchal, moins les bottes. Il y avait une armée de génies de la même force, et toute personne raisonnable aurait regardé comme un honneur suffisant de se rencontrer là avec eux ; mais il y avait mieux encore, il y avait une demi-douzaine de lions de Londres, — des auteurs, des auteurs réels, qui avaient écrit des livres tout entiers, et qui les avaient fait imprimer. On pouvait les voir, marchant comme des hommes ordinaires, souriant, parlant, oui, et disant même pas mal de sottises, sans doute dans l’intention bénigne de se rendre intelligibles aux gens vulgaires qui les entouraient. Il y avait en outre une bande de musiciens en chapeaux de carton doré ; quatre chanteurs, soi-disant italiens, dans leur costume national, et une douzaine de domestiques de louage, aussi dans leur costume national, costume fort mal propre, par parenthèse. Enfin, et par-dessus tout, il y avait Mme Chasselion, en Minerve, recevant la compagnie, et laissant déborder l’orgueil et le plaisir qu’elle éprouvait à voir rassemblés autour d’elle tant d’individus distingués.

« M. Pickwick, madame, » dit un domestique ; et cet illustre personnage s’approcha de la divinité présidente, ayant ses deux bras passés dans ceux du brigand et du troubadour, et tenant son chapeau à sa main.

« Quoi ! où ? s’écria Mme Chasselion, en tressaillant avec un ravissement immense.

— Ici, madame, dit M. Pickwick d’une voix douce.

— Est-il possible que j’aie réellement la satisfaction de voir M. Pickwick lui-même !!!

— En personne, madame, répliqua le philosophe, en saluant très-bas. Permettez-moi de présenter mes amis, M. Tupman, M. Winkle, M. Snodgrass, à l’auteur de la Grenouille expirante. »

Peu de personnes, à moins de l’avoir essayé savent combien il est difficile de saluer avec d’étroites culottes de velours vert, une veste serrée et un chapeau en pain de sucre ; ou bien avec un justaucorps de satin bleu et des bas de soie, où bien avec des jarretières et des bottes à la russe ; surtout quand toutes ces choses n’ont point été faites pour celui qui les porte, et ont été fixées sur lui sans la plus légère attention aux dimensions respectives de l’habillement et de l’habillé. Jamais on ne vit de contorsions semblables à celles que faisait M. Tupman pour paraître à son aise et gracieux ; jamais on ne vit de postures aussi ingénieuses que celles de ses compagnons de déguisement.