Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/220

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rité de ses hôtes, pensant qu’il était bien temps de manger quelque chose, s’écrièrent que c’était une honte d’abuser de la complaisance de Mme Chasselion. Vainement Mme Chasselion protesta qu’elle était tout à fait disposée à réciter son ode sur nouveaux frais ; ses amis étaient trop polis, trop discrets, trop soigneux de sa santé, pour consentir à l’entendre encore, sous aucun prétexte. La salle des rafraîchissements fut donc ouverte, et tous ceux qui étaient déjà venus chez Mme Chasselion se précipitèrent en tumulte, pour y arriver les premiers. Ils savaient, en effet, que l’habitude de cette illustre dame était de faire faire un déjeuner pour cinquante et des invitations pour trois cents ; ou, en d’autres termes, de nourrir les lions les plus remarquables, et de laisser les petits animaux se tirer d’affaire comme ils pouvaient.

« Où donc est monsieur Pott ? demanda Mme Chasselion en s’occupant de placer les susdits lions autour d’elle.

— Me voici ! s’écria l’éditeur du bout le plus reculé de la chambre, hors de toute espérance de nourriture, à moins que son hôtesse ne fit quelque chose d’extraordinaire pour lui.

— Voulez-vous venir par ici ? lui cria-t-elle.

— Oh ! je vous en prie, ne vous tourmentez pas pour lui, interrompit Mme Pott de sa voix la plus obligeante. Vous vous donnez beaucoup trop de peine, madame Chasselion. Il est très-bien là-bas. N’est-ce pas, mon cher, que vous êtes très-bien là-bas ?

— Certainement, mon amour, » répliqua l’infortuné Pott avec un triste sourire. Hélas ! à quoi lui servait son knout ? Le bras nerveux qui le faisait tomber sur les hommes publics avec une vigueur gigantesque, était paralysé par un coup d’œil de l’impérieuse Mme Pott.

Mme Chasselion regarda autour d’elle avec triomphe. Le comte Smorltork était activement occupé à prendre note de ce que contenaient les plats ; M. Tupman, avec plus de grâce que n’en avaient jamais déployé tous les brigands de l’Italie, faisait à diverses lionnes les honneurs d’une salade de homard ; M. Snodgrass, ayant supplanté le jeune gentleman chargé des éreintements dans la Gazette d’Eatanswill, était enfoncé dans une dissertation passionnée avec la jeune lady qui faisait la poésie ; et M. Pickwick, enfin, se rendait universellement agréable : rien ne semblait manquer à ce cercle choisi, lorsque M. Chasselion, dont le département, dans ces occasions, était