Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/253

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en l’abaissant tout à coup, il ajouta : « J’ai dit serpent, monsieur. Vous me comprenez, j’espère ? »

Or, quand on a quitté un homme à deux heures du matin, avec des expressions d’intérêt, de bienveillance et d’amitié réciproques, et quand on le revoit à neuf heures et demie et qu’il vous traite de serpent, il n’est point déraisonnable de conclure qu’il doit être arrivé dans l’intervalle quelque chose d’une nature déplaisante. C’est aussi ce que pensa M. Winkle. Il renvoya à M. Pott son regard glacial, et, conformément à l’espoir exprimé par ce gentleman, il fit tous ses efforts pour comprendre le serpent, mais il n’en put venir à bout, et après un profond silence, qui dura plusieurs minutes, il dit :

« Serpent, monsieur ? Serpent, M. Pott ? Qu’est-ce que vous entendez par là, monsieur ? c’est une plaisanterie apparemment ?

— Une plaisanterie, monsieur ! s’écria l’éditeur avec un mouvement de la main qui indiquait un violent désir de jeter à la tête de son hôte la théière de métal anglais ; une plaisanterie, monsieur !… Mais, non ; je serai calme ; je veux être calme, monsieur !… Et pour prouver qu’il était calme, M. Pott se jeta dans un fauteuil en écumant de la bouche.

— Mon cher monsieur… lui représenta M. Winkle.

— Cher monsieur ! Comment osez-vous m’appeler cher monsieur, monsieur ? Comment osez-vous me regarder en face, en m’appelant ainsi ?

— Ma foi, monsieur, si nous en venons-là, comment osez-vous me regarder en face, en m’appelant serpent ?

— Parce que vous en êtes un.

— Prouvez-le, s’écria M. Winkle avec chaleur. Prouvez-le ! »

Un nuage sombre et menaçant passa sur le visage profond de l’éditeur. Il tira de sa poche l’Indépendant, qu’on venait de lui apporter, et le passa par-dessus la table à M. Winkle, en lui montrant du doigt un paragraphe.

Le Pickwickien étonné prit le journal et lut tout haut ce qui suit :

« Notre obscur et ignoble contemporain, dans ses observations dégoûtantes sur les dernières élections de cette cité, a eu l’infamie de violer le sanctuaire sacré de la vie privée et de faire des allusions fort claires aux affaires personnelles de notre dernier candidat ; oui, et nous dirons même, malgré le honteux résultat de l’intrigue, aux affaires personnelles de notre futur représentant, M. Fizkin, qui, malgré un échec dû à d’ignobles menées, n’en sera pas moins notre représentant un