Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/301

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— Monsieur, dit M. Pickwick, je souhaiterais fort que vous voulussiez bien nous la raconter.

— Oh ! oui, ajouta Lowten, racontez-la. Personne ici ne l’a entendue, excepté moi, et je l’ai presque oubliée. »

Le vieux homme regarda autour de la table et ricana plus horriblement que jamais, en remarquant l’attention peinte sur tous les visages. Ensuite, frottant son menton avec sa main et contemplant le plafond, comme pour rafraîchir sa mémoire, il commença ainsi qu’il suit :

HISTOIRE D’UN SINGULIER CLIENT.

Il n’importe guère où ni comment j’ai appris cette courte histoire ; si je vous la racontais dans l’ordre où je l’ai sue, je commencerais par le milieu, et quand je serais arrivé à la conclusion, je retournerais en arrière chercher un commencement. Il suffira de vous dire que quelques-uns des événements se sont passés devant mes yeux. Quant aux autres, je sais qu’ils sont arrivés, et plusieurs personnes encore vivantes ne se les rappellent que trop bien.

Dans la grande rue du faubourg de Londres, près de l’église Saint-George, et du même côté de la rue, se trouve, comme presque tout le monde le sait, une petite prison pour dettes, nommée Marshalsea. Quoiqu’elle ne ressemble plus guère à l’infâme cloaque d’autrefois, cependant, dans son état amélioré, elle offre encore peu de tentation pour les extravagants, peu de consolation pour les imprévoyants. L’assassin condamné jouit, dans Newgate, d’une cour plus vaste et plus aérée qu’il n’y en a dans la prison de Marshalsea, pour le débiteur insolvable.

Que ce soit une idée, que ce soit à cause des vieux souvenirs que me rappelle cette partie de Londres, je ne puis la supporter. La rue est large ; les boutiques sont spacieuses ; le bruit des voitures, des passants, des industries actives, y résonne depuis le matin jusqu’à minuit ; mais les rues d’alentour sont étroites et sales ; la pauvreté, la débauche suppurent de toutes les allées ; l’infortune et le besoin sont renfermés dans la sombre prison ; un air de tristesse, de désolation, semble, à mes yeux du moins, être répandu sur les alentours et leur communiquer une teinte maladive et dégoûtante.

Bien des gens dont les yeux se sont depuis fermés dans la tombe, ont commencé par contempler assez légèrement cette