Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/310

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L’avoué examina le paquet avec plus de curiosité encore, et son nouveau client dénouant la corde qui l’attachait, lui fit voir une quantité de billets avec quelque copies d’actes et d’autres documents.

« Comme vous le verrez, dit le client, l’homme dont voici le nom a emprunté, depuis quelques années, de vastes sommes sur ces papiers. Il était convenu tacitement avec ses premiers prêteurs, dont j’ai par degrés acheté le tout, pour le triple ou le quadruple de sa valeur ; il était convenu, dis-je, que ces billets seraient renouvelés de temps en temps, jusqu’à une certaine époque ; mais cette convention n’est exprimée nulle part. L’emprunteur a dernièrement subi de grandes pertes, et ces obligations, en venant sur lui tout d’un coup, le mettraient sur la paille.

— Le montant total est de quelque mille livres sterling, dit l’avoué en regardant les papiers.

— Oui, répondit le client.

— Eh bien ! que ferons-nous ?

— Ce que vous ferez ? s’écria le client avec une véhémence soudaine. Employez, pour sa perte, toutes les ressources de la loi, toutes les subtilités de la chicane, tous les moyens, honnêtes ou non, que peuvent inventer les plus rusés praticiens. Je veux qu’il meure d’une mort prolongée, harassante ! Ruinez-le ! saisissez, vendez ses biens, ses terres ! chassez-le de son domicile ! Qu’il mendie dans sa vieillesse et qu’il expire en prison !

— Mais les frais, monsieur, les frais de tout ceci, fit observer l’avoué lorsqu’il fut revenu de sa première surprise. Si le défendant est ruiné, qui payera les frais ?…

— Nommez une somme, s’écria l’étranger, dont les mains tremblaient si violemment qu’il pouvait à peine tenir la plume qu’il avait saisie ; nommez une somme quelconque et elle vous sera remise. N’ayez pas peur de demander ! rien ne me semblera trop cher pourvu que j’atteigne mon but. »

L’avoué nomma à tous hasards une grosse somme, plutôt pour savoir jusqu’où son client avait réellement l’intention d’aller, que dans la pensée qu’il la lui accorderait. L’étranger, sans hésiter, écrivit une traite sur son banquier, la lui remit, et s’éloigna.

La traite fut convenablement honorée, et l’avoué, voyant qu’il pouvait compter sur son étrange client, se mit sérieusement à la besogne. Pendant plus de deux années, ensuite,