Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/333

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port aux veuves, Sammy ; et tu en diras autant quand tu auras mon âge.

— Je sais bien, confessa Sam, je sais bien que j’aurais dû en savoir plus long.

— En savoir plus long ! répéta M. Weller, en frappant la table avec son poing ; en savoir plus long ! Mais je connais un jeune moutard, qui n’a pas eu le quart de ton inducation, qui n’a pas seulement fréquenté les marchés pendant… non pas six mois, et qui aurait rougi de se laisser enfoncer comme ça, rougi jusqu’au blanc des yeux, Sammy ! » L’angoisse que réveilla cette amère réflexion obligea M. Weller à tirer la sonnette et à demander une nouvelle pinte d’ale.

« Allons ! à quoi bon parler de ça maintenant, fit observer Sam. Ce qui est fait est fait, il n’y a plus de remède, et cette pensée doit nous consoler, comme disent les Turcs, quand ils ont coupé la tête d’un individu par erreur. Mais chacun son tour, gouverneur, et si je rattrape ce Trotter, il aura affaire à moi.

— Je l’espère, Sammy, je l’espère, répondit gravement M. Weller. À ta santé, Sammy, et puisses-tu effacer bientôt la tache dont tu as soulié notre nom de famille. » En l’honneur de ce toast, le corpulent cocher absorba, d’un seul trait, les deux tiers au moins de la pinte nouvellement arrivée : puis il tendit le reste à son fils, qui en disposa instantanément.

« Et maintenant, Sammy, reprit M. Weller en consultant l’énorme montre d’argent que soutenait sa chaîne de cuivre ; maintenant il est temps que j’aille au bureau pour prendre ma feuille de route et pour faire charger la voiture ; car les voitures, Sammy, c’est comme les canons, i’ faut les charger avec beaucoup de soin avant qu’i’ partent. »

Sam Weller accueillit avec un sourire filial ce bon mot paternel et professionnel. Son respectable père continua d’un ton grave et ému : « Je vas te quitter, Sammy, mon garçon, et on ne sait pas quand est-ce que nous nous reverrons. Ta belle-mère peut avoir fait mon affaire, il peut arriver un tas d’accidents avant que tu reçoives de nouvelles nouvelles du célèbre monsieur Weller de la Belle Sauvage. L’honneur de la famille est dans tes mains, Samivel, et j’espère que tu feras ton devoir. Quant au reste, je sais que je peux me fier à toi comme à moi-même. Aussi je n’ai qu’un petit conseil à te donner. Si tu dépasses la cinquantaine et que l’idée te vienne d’épouser quelqu’un, n’importe qui, vite enferme-toi dans ta chambre, si tu en as une, et empoisonne-toi sur-le-champ. C’est