Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/335

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comme il n’y avait pas d’autre issue que celle qui était devant lui, il ne fut pas longtemps à remarquer que, pour sortir de là, il fallait nécessairement passer devant M. Samuel Weller. Il reprit donc son pas délibéré et s’avança en regardant droit devant lui. Ce qu’il y avait de plus extraordinaire dans cet homme, c’est la façon hideuse dont il contournait ses traits, faisant les grimaces les plus étonnantes et les plus effroyables qu’on ait jamais vues. Jamais l’œuvre de la nature n’avait été déguisée plus artistement que ne le fut en un instant le visage en question.

« Parole d’honneur, se dit Sam à lui-même, en voyant approcher le quidam, voilà qui est drôle ! j’aurais juré que c’était lui ! »

L’homme avançait toujours, et à mesure qu’il s’approchait, sa figure devenait de plus en plus bouleversée.

« Je pourrais prêter serment, quant à ces cheveux noirs et à cet habit violet ; mais c’est bien sûr la première fois que je vois cette boule-là. »

Pendant ce soliloque, la physionomie de l’étranger avait pris un aspect surnaturel et parfaitement hideux. Cependant il fut obligé de passer très-près de Sam, et un regard scrutateur de celui-ci lui permit de découvrir, sous ce masque de contorsions effrayantes, quelque chose qui ressemblait trop aux petits yeux de M. Job Trotter pour qu’il fût possible de s’y tromper.

« Ohé ! monsieur ! » cria Sam d’une voix irritée.

L’étranger s’arrêta.

« Ohé ! » répéta Sam d’une voix encore plus féroce.

L’homme à l’horrible visage regarda avec la plus grande surprise au fond de la cour, à l’entrée de la cour, aux fenêtres de chaque maison, partout enfin, excepté du côté de Sam Weller ; puis il fit un autre pas en avant, mais il fut arrêté par un nouveau hurlement de Sam :

« Ohé ! monsieur ! »

Il n’y avait plus moyen de prétendre méconnaître d’où venait la voix, et l’étranger, n’ayant pas d’autre ressource, regarda Sam en face.

« Ça ne prend pas, Job Trotter, dit celui-ci. Allons ! allons ! pas de bêtises. Vous n’êtes pas assez beau naturellement pour vous permettre de vous gâter comme ça la physionomie. Remettez-moi vos petits yeux à leur place, ou bien je les enfoncerai dans votre tête. M’entendez-vous ! »

Comme M. Weller paraissait disposé à agir suivant la lettre