Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/385

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représentées la tête et les épaules d’un gentleman doué d’un teint apoplectique. Son habit rouge avait des revers bleus, et quelques taches de cette dernière couleur étaient placées au-dessus de son tricorne pour figurer le ciel. Plus haut encore, il y avait une paire de drapeaux, et au-dessous du dernier bouton de l’habit rouge du gentleman, une couple de canons. Le tout offrait incontestablement un portrait frappant du marquis de Granby, de glorieuse mémoire. Les fenêtres du comptoir laissaient voir une collection de géraniums et une rangée bien époussetée de bouteilles de liqueur. Les volets verts étalaient en lettres d’or force panégyriques des bons lits et des bons vins de la maison ; enfin le groupe choisi de paysans et de valets qui flânaient autour des écuries, autour des auges, disait beaucoup en faveur de la bonne qualité de la bière et de l’eau-de-vie qui se vendaient à l’intérieur. En descendant de voiture, Sam s’arrêta pour noter, avec l’œil d’un voyageur expérimenté, toutes ces petites indications d’un commerce prospère, et, quand il entra, il était grandement satisfait du résultat de ses observations.

« Eh bien ? dit une voix aigrelette lorsque la tête de Sam se montra à la porte du comptoir. Qu’est-ce que vous voulez, jeune homme ? »

Sam regarda dans la direction de la voix. Elle provenait d’une dame d’une encolure assez puissante, confortablement assise auprès de la cheminée, et qui s’occupait à souffler le feu, afin de faire chauffer l’eau pour le thé. La dame n’était pas seule, car de l’autre côté de la cheminée, tout droit dans un antique fauteuil, était assis un homme dont le dos était presque aussi long et presque aussi roide que celui du fauteuil lui-même.

Cet individu, qui attira sur-le-champ l’attention spéciale de Sam, paraissait long et fluet. Son visage était couperosé, son nez rouge ; ses yeux méchants et bien éveillés tenaient beaucoup de ceux d’un serpent à sonnettes. Il portait un habit noir râpé, un pantalon très-court et des bas de coton noir qui, comme le reste de son costume, avaient une teinte rouillée. Son air était empesé, mais sa cravate blanche ne l’était pas, et pendait toute chiffonnée et d’une manière fort peu pittoresque sur son gilet boutonné jusqu’au menton. Sur une chaise, à côté de lui, étaient placés une paire de gants de castor, vieux et usés ; un chapeau à larges bords ; un parapluie fort passé, qui laissait voir une quantité de baleines, comme pour con-