Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/425

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

laissa apercevoir un riche et beau paysage, semblable à celui que l’on découvre encore aujourd’hui, à un quart de lieue de la vieille abbaye. Le soleil resplendissait dans le bleu firmament, l’eau étincelait sous ses rayons, et grâce à son influence bienfaisante, les arbres paraissaient plus verts et les fleurs plus jolies. L’onde ruisselait avec son agréable murmure ; un vent tiède agitait les feuilles ; les oiseaux chantaient dans les buissons et l’alouette charmait les airs de ses hymnes matinales ; car c’était le matin, le matin étincelant et embaumé d’un beau jour d’été ; et les feuilles les plus menues, les plus petits brins l’herbe paraissaient remplis de vie ; la fourmi diligente accomplissait son travail journalier ; le papillon voltigeait sur les fleurs et se baignait dans les chauds rayons du soleil ; des myriades d’insectes étendaient leurs ailes transparentes et jouissaient de leur courte mais heureuse existence : l’homme enfin se montrait, son esprit s’exaltait en voyant la grandeur de la création, et tout dans la nature était harmonie et splendeur.

Cependant Gabriel Grub ne paraissait point touché.

« Misérable égoïste ! » répéta le roi des goblins d’un ton plus méprisant encore, et derechef il agita sa jambe au-dessus de sa tête, et la fit descendre vivement sur les épaules du sacristain. Les gens de sa suite ne manquèrent pas d’en faire autant.

Bien des fois le nuage s’obscurcit et se dissipa, et de nombreux tableaux donnèrent à Gabriel des leçons, qu’il considérait avec un intérêt de plus en plus vif, quoique ses épaules devinssent brûlantes, par l’application répétée des pieds des lutins. Il vit que les hommes qui travaillent péniblement et qui gagnent, à la sueur de leur front une modique subsistance, sont cependant gais et heureux. Il apprit que, même pour les plus ignorants, le doux aspect de la nature est une source toujours nouvelle de délices et de tranquillité. Il vit des femmes, nourries délicatement et tendrement élevées, supporter joyeusement des privations, surmonter des souffrances qui auraient écrasé des créatures d’une étoffe plus grossière ; et cela parce qu’elles portaient dans leur sein une source inépuisable d’affection et de dévouement. Par-dessus tout, il vit que les hommes qui s’affligent du bonheur des autres, sont semblables aux plus mauvaises herbes dont la surface de la terre est infectée. Enfin balançant ensemble le bien et le mal qu’il observait, il arriva à cette conclusion que le monde, après tout, est une espèce de monde assez honnête et assez respectable.

Aussitôt qu’il en fut venu là, le nuage qui avait voilé le der-