Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/73

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larité de leur apparence ; des habits déchirés, des visages égratignés, des souliers sales, des figures exténuées ; et par-dessus tout, l’affreux cheval. Oh ! combien M. Pickwick le maudissait ! De temps en temps il jetait sur lui des regards où se peignaient la haine et le désir d’une épouvantable vengeance. Plus d’une fois, il avait calculé le montant probable de ce qu’il faudrait payer pour avoir la satisfaction de lui couper la gorge ; et maintenant la tentation de l’assassiner ou de l’abandonner dans les champs déserts se présentait à son esprit avec dix fois plus de violence. Cependant il avançait toujours, et à l’un des détours de la ruelle, il fut distrait de ses horribles pensées par l’apparition soudaine de deux personnages. C’étaient M. Wardle et son fidèle serviteur, le gros garçon rougeaud.

« Eh bien ! où donc avez-vous été ? demanda le gentleman hospitalier. Je vous ai attendu toute la journée. Vous avez l’air fatigués. Quoi ! des égratignures ! pas de blessures, j’espère ?… Non… j’en suis bien aise. Vous avez versé ? N’y pensez plus, c’est un accident commun dans ce pays-ci. — Joe, damné garçon, il est encore à dormir ! Joe, prenez ce cheval et conduisez-le dans l’écurie. »

Le gros joufflu tenant en bride le fatal coursier, se traîna d’un pas paresseux derrière la compagnie, tandis que le vieux gentleman s’efforçait de consoler ses hôtes de la partie de leurs aventures qu’ils jugèrent à propos de lui communiquer.

Arrivés à Manoir-ferme, il commença par les faire entrer dans la cuisine en leur disant : « Nous allons tout réparer ici, et ensuite je vous introduirai dans le salon. — Emma, apportez l’eau-de-vie de cerises. — Maintenant, Jane, une aiguille et du fil. — Mary, des serviettes et de l’eau. Allons vite, mes filles, dépêchons. »

Trois ou quatre grosses réjouies se dispersèrent rapidement pour aller chercher les articles demandés, tandis qu’un couple de domestiques mâles, aux têtes rondes et aux larges visages, se levèrent des siéges qu’ils occupaient auprès de la cheminée comme s’ils avaient été à Noël, se plongèrent dans l’obscurité de divers recoins, et en ressortirent bientôt, armés d’une bouteille de cirage et d’une demi-douzaine de brosses.

« Allons, vite ! » répéta le vieux gentleman. Mais c’était une exhortation tout à fait inutile, car l’une des servantes versait l’eau-de-vie, l’autre apportait les serviettes, et l’un des hommes