Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/83

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ritable, mais, dans mon âme et conscience, je crois que son mari essaya systématiquement, pendant plusieurs années, de la faire mourir de chagrin. Elle supporta tout, cependant, pour l’amour de son fils ; et même, quoique cela puisse paraître étrange à bien des gens, pour l’amour de son mari. Elle l’avait aimé autrefois, et malgré ses brutalités, malgré la cruauté qu’il lui témoignait, le souvenir de ce qu’il avait été pour elle éveillait encore dans son sein des sentiments de douce indulgence, auxquels, excepté la femme, toutes les autres créatures de Dieu sont étrangères.

Ils étaient pauvres : la conduite du mari ne permettait pas qu’il en fût autrement ; mais le travail obstiné, incessant de la femme, les maintenait au-dessus du besoin. Cependant ses efforts étaient bien mal récompensés. Les gens qui passaient auprès de leur maison, le soir, entendaient souvent les pleurs, les gémissements de la malheureuse femme, et le bruit des coups qu’elle recevait. Plus d’une fois, après minuit, l’enfant vint frapper doucement à la porte de quelque maison voisine, où il était envoyé par sa mère, pour échapper à l’ivresse furieuse du père dénaturé.

Pendant tout ce temps, et quoique la pauvre créature portât souvent des marques de mauvais traitements, qu’elle ne pouvait pas entièrement cacher, elle assistait régulièrement au service divin. Chaque dimanche, matin et soir, elle occupait avec son fils le même banc dans notre petite église ; et quoique la mère et l’enfant fussent tous deux pauvrement habillés (plus pauvrement même que beaucoup de leurs voisins qui se trouvaient dans une position encore plus précaire), leur toilette était toujours décente et propre. Chacun avait un signe amical et une parole bienveillante pour cette pauvre madame Edmunds, et parfois quand, au sortir de l’église, elle s’arrêtait sous les ormes qui conduisaient au porche, pour échanger quelques mots avec un voisin ; ou quand elle ralentissait le pas pour regarder, avec l’orgueil et la tendresse d’une mère, son enfant, rose et bien portant, qui jouait devant elle avec quelques petits camarades, sa figure fatiguée s’éclairait d’une expression de gratitude profondément ressentie, et elle paraissait être sinon heureuse ou gaie, du moins résignée et tranquille.

Cinq ou six ans s’écoulèrent : l’enfant était devenu un jeune homme robuste et bien bâti, mais le temps, qui avait renforcé ses membres délicats, avait courbé la taille de sa mère et affaibli sa démarche ; et cependant le bras qui aurait dû la