Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/401

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indirect quels étaient les sentiments du vieillard sur un point qui l’intéressait autant que celui-là.

— Je ne puis le nier, monsieur, balbutia Arabelle.

— Et sans avoir assez de bien, de votre côté, pour assurer à votre époux un dédommagement des avantages auxquels il renonçait en ne se mariant pas selon les désirs de son père ? C’est là ce que les jeunes gens appellent une affection désintéressée, jusqu’à ce qu’ils aient des enfants à leur tour et qu’ils viennent alors à penser différemment. »

Les larmes d’Arabelle coulaient abondamment, tandis qu’elle s’excusait en disant qu’elle était jeune et inexpérimentée, que son attachement seul l’avait entraînée, et qu’elle avait été privée des soins et des conseils de ses parents presque depuis son enfance.

« C’était mal, dit le vieux gentleman d’un ton plus doux, c’était fort mal. C’était romanesque, mal calculé, absurde.

— C’est ma faute, monsieur, ma faute à moi seule, répliqua la pauvre Arabelle en pleurant.

— Bah ! Ce n’est pas votre faute, je suppose, s’il est devenu amoureux de vous… Mais si pourtant, ajouta l’inconnu en regardant Arabelle d’un air malin, si, c’est bien votre faute ; il ne pouvait pas s’en empêcher.

Ce petit compliment, ou l’étrange façon dont le vieux gentleman l’avait fait, ou le changement de ses manières qui étaient devenues beaucoup plus douces, ou ces trois causes réunies, arrachèrent à Arabelle un sourire au milieu de ses larmes.

« Où est votre mari ? demanda brusquement l’inconnu pour dissimuler un sourire qui avait éclairci son propre visage.

— Je l’attends à chaque instant, monsieur. Je lui ai persuadé de se promener un peu ce matin ; il est très-malheureux, très-abattu, de n’avoir pas reçu de nouvelles de son père.

— Ah ! ah ! c’est bien fait, il le mérite.

— Il en souffre pour moi, monsieur ; et, en vérité, je souffre beaucoup pour lui, car c’est moi qui suis la cause de son chagrin.

— Ne vous tourmentez pas à cause de lui, ma chère ; il le mérite bien. J’en suis charmé, tout à fait charmé, pour ce qui est de lui.

Ces mots étaient à peine sortis de la bouche du vieux gentleman, lorsque des pas se firent entendre sur l’escalier. Arabelle et l’étranger parurent les reconnaître au même instant.