Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/191

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« Vous savez, ma mère, qu’il faut prendre du courage et ne pas rester solitaire à la maison parce que je n’y serai plus. Je pourrai souvent donner un coup de pied jusqu’ici, quand je viendrai en ville ; de temps en temps je vous écrirai une lettre ; à chaque trimestre, j’espère obtenir un jour de congé, et alors nous verrons si nous n’emmènerons pas notre petit Jacob à la comédie et si nous ne lui ferons pas savoir ce que c’est que des huîtres.

— Vos comédies, je l’espère, ne seront pas œuvres de péché ; mais je ne suis pas bien rassurée là-dessus.

— Je sais, répliqua Kit d’un ton chagrin, qui vous a mis toutes ces idées en tête. C’est encore la congrégation du Petit Béthel. Je vous en prie, ma mère, n’allez pas trop souvent par là. Si je devais voir votre visage dont la bonne humeur a toujours fait la joie de la maison, devenir chagrin ; si je voyais le petit élevé dans la même tristesse ; si je l’entendais s’appeler lui-même un petit pécheur (est-il possible ?) et enfant du diable, ce qui est une insulte au pauvre père défunt, s’il me fallait voir tout cela, et voir aussi notre Jacob avoir un air triste de petit Béthel, comme tout le monde, je prendrais tellement la chose à cœur que j’irais sûrement m’enrôler comme soldat et me faire casser la tête par le premier boulet de canon que je rencontrerais sur mon chemin !

— Ô Kit, ne parlez pas ainsi ! …

— Je le ferais, ma mère ; et tenez, si vous ne voulez pas me rendre malheureux, vous laisserez sur votre chapeau ce nœud que vous vouliez absolument en retirer la semaine dernière. Pouvez-vous supposer qu’il y ait aucun mal à paraître et à être aussi joyeux que le permet notre humble position ? Y a-t-il rien dans la tournure de mon caractère qui doive faire de moi un pleurnicheur, un tartufe avec de grands airs, pleurant tout bas, humblement, se glissant modestement, sans se laisser voir, comme si je ne pouvais pas marcher sans ramper, ni m’exprimer sans parler du nez. Au contraire, est-ce qu’il n’y a pas toutes les raisons du monde pour que je ne sois pas comme cela ? Ma foi ! tenez ! j’aime mieux rire tout franchement ! Ah ! ah ! ah ! N’est-ce pas aussi naturel que de marcher et aussi salutaire pour la santé ? Ah ! ah ! ah ! N’est-ce pas aussi naturel qu’au mouton de bêler, ou au cochon de grogner, ou au cheval de hennir, ou à l’oiseau de chanter ? Ah ! ah ! ah ! n’est-il pas vrai, mère ? »