Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/206

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tion désordonnée du vieillard lui représentait une foule de gens se glissant jusqu’à lui et sa petite-fille dans l’ombre des buissons, s’embusquant dans chaque fossé et les épiant derrière chaque branche des arbres agités. Il était obsédé de la crainte d’être jeté dans quelque cabanon obscur où on l’enchaînerait et le fouetterait ; pis que cela, où Nelly ne serait jamais admise à le voir, sinon à travers des barreaux de fer et des grilles scellées à la muraille. Ses terreurs gagnaient l’enfant. Être séparée de son grand-père, c’était le plus cruel supplice qu’elle put redouter ; et pensant que dans l’avenir, partout où ils iraient, ils étaient exposés à être ainsi traqués et poursuivis sans pouvoir espérer de salut qu’à la condition de rester cachés, elle sentit son cœur se briser et son courage faiblir.

Cet accablement d’esprit n’avait rien de surprenant chez un être si jeune et si peu habitué aux scènes parmi lesquelles il lui avait fallu vivre depuis quelque temps. Mais souvent la nature place de nobles et généreux cœurs dans de faibles poitrines, — très-souvent, Dieu merci ! dans des poitrines de femme ; — et quand l’enfant, attachant sur le vieillard ses yeux mouillés de larmes, se rappela combien il était débile, et combien il serait abandonné et sans ressources si elle venait à lui manquer, son cœur se ranima et se trouva rempli d’une force et d’une constance nouvelles.

« Nous voici à l’abri de tout danger et nous n’avons plus rien à craindre, mon cher grand-papa, dit-elle.

— Rien à craindre ! … répéta le vieillard. Rien à craindre, et s’ils m’arrachaient d’auprès de toi ! Rien à craindre, et s’ils nous séparaient ! Je ne crois plus personne : pas même Nell !

— Oh ! ne parlez pas ainsi ! répliqua l’enfant. Car si jamais quelqu’un vous fut fidèle et dévoué, c’est moi. Et je sais bien que vous n’en doutez pas.

— Comment alors, dit le vieillard, regardant d’un air craintif autour de lui, pouvez-vous avoir le cœur de me dire que nous sommes en sûreté lorsqu’on me cherche de tous côtés, lorsqu’on peut venir ici, se glisser vers nous, au moment même où nous parlons !

— Parce que je suis bien sûre que nous n’avons pas été suivis. Jugez-en par vous-même, cher grand-papa ; regardez autour de vous, et voyez combien tout est calme. Nous sommes seuls ensemble, et libres d’aller où il nous plaira. Vous dites