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NICOLAS NICKLEBY.

ses affaires sans la moindre réserve, et disserta assez longtemps sur les mérites de sa troupe et les talents de sa famille, dont les deux matelots étaient d’honorables membres. Le père et les fils devaient retrouver à Portsmouth les autres acteurs, et s’y rendaient pour y donner quelques représentations.

— Vous allez de ce côté ? demanda le directeur. — Non… Oui… — Connaissez-vous la ville ? demanda le directeur, qui croyait avoir des droits à autant de confiance qu’il en avait accordé à son interlocuteur. — Non, répondit Nicolas. — Vous n’y avez jamais été ? — Jamais.

M. Vincent Crummles toussa sèchement, comme pour dire : Si vous ne voulez pas être communicatif, eh bien ! ne le soyez pas.

De temps en temps, M. Crummles examinait avec un vif intérêt Smike, dont l’extérieur paraissait l’avoir frappé de prime abord. Smike s’était endormi, et se balançait sur sa chaise.

— Pardon de vous parler ainsi, dit le directeur se penchant vers Nicolas et baissant la voix ; mais… quelle bonne tête a votre ami ! — Pauvre garçon ! dit Nicolas en souriant à demi ; je voudrais qu’il fût un peu plus gras. — Gras ! s’écria le directeur avec horreur, l’embonpoint le gâterait à jamais. — Vous croyez ? — Si je le crois, Monsieur ! Mais tel qu’il est maintenant, dit le directeur en se frappant le genou avec force, sans avoir rien de postiche, sans même se farder, ce serait un acteur incomparable pour jouer les affamés. Il n’a qu’à figurer passablement dans l’apothicaire de Roméo avec un soupçon de rouge sur le bout de son nez, et il est sûr de trois salves d’applaudissements dès le moment où il passera sa tête par la porte de la coulisse. — Vous le voyez d’un œil d’artiste, dit Nicolas en riant. — Et j’ai raison. Je n’ai jamais vu jeune homme mieux taillé pour cet emploi depuis que je suis dans la partie, et je jouais les nourrissons à l’âge de dix-huit mois.

L’apparition du bifteck et du pudding, qui se montrèrent en même temps que les fils de M. Crummles, fit changer la conversation, et l’arrêta même un moment, on expédia le souper sans mot dire.

Les jeunes Crummles n’eurent pas plus tôt avalé tout ce qui restait dans les plats, qu’ils manifestèrent, en bâillant et en étendant leurs jambes, le désir d’aller se coucher. Smike l’exprimait encore plus énergiquement, car, dans le cours du repas, il s’était plusieurs fois endormi en mangeant. Nicolas proposa de se séparer ; mais le directeur n’en voulut pas entendre parler.

— Laissez-les s’en aller, dit-il, et nous nous installerons à notre aise au coin du feu.