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NICOLAS NICKLEBY.

Pendant cette scène, l’omnibus avait déposé miss la Creevy et son cavalier, et ils étaient arrivés à leur destination. La bonne petite artiste ne pouvait laisser Smike s’éloigner avant d’avoir pris un biscuit et une gorgée de quelque boisson réconfortante. Smike, loin de faire des façons, avait au contraire regardé ce léger repas comme une préparation indispensable à sa longue course. Il s’ensuivit qu’il resta plus longtemps qu’il ne se l’était d’abord proposé, et que la brune était déjà venue depuis une demi-heure lorsqu’il se mit en route.

Il n’était pas à craindre qu’il s’égarât, car il n’avait qu’à aller toujours tout droit, et presque tous les jours il suivait ce chemin pour conduire Nicolas. Mais la Creevy le congédia sans alarmes, en lui recommandant de présenter ses amitiés à madame et à miss Nickleby.

Arrivé au pied de Lugdate hill, Smike se détourna un peu pour satisfaire sa curiosité en donnant un coup d’œil à la prison de Newgate. Après en avoir examiné avec effroi les sombres murailles, il reprit son chemin et s’avança joyeusement à travers les rues. Parfois il s’arrêtait pour regarder l’étalage d’une boutique plus attrayante que les autres, puis il se mettait à courir, puis il s’arrêtait encore, comme un vrai provincial.

Il contemplait depuis longtemps la devanture d’une boutique de bijoutier, souhaitant de pouvoir porter en présent à ses hôtes un de ces brillants colifichets, quand les horloges sonnèrent huit heures trois quarts. Tiré de sa rêverie, il repartit au pas accéléré, et passait au coin d’une rue adjacente, quand il se sentit arrêté avec tant de violence, qu’il fut obligé de se cramponner à un lampadaire pour n’être pas renversé. En même temps, un petit garçon le saisit à la jambe, et cria d’une voix perçante :

— C’est lui, mon père, le voici !

Smike connaissait trop bien cette voix. Il jeta un regard de désespoir sur l’enfant, et frémit de la tête aux pieds. M. Squeers l’avait attrapé au collet avec la poignée de son parapluie, sur l’autre extrémité duquel il pesait de toute sa force. Le cri de triomphe avait été poussé par le jeune Wackford, qui, bravant d’inutiles coups de pied, se cramponnait au malheureux avec la ténacité d’un bouledogue.

Smike vit tout cela d’un coup d’œil, et ce seul coup d’œil ôta au pauvre jeune homme les forces et la voix.

— Ah ! la bonne affaire ! s’écria M. Squeers, dont la main, montant graduellement le long du parapluie, était venue saisir la victime au collet ; ah ! la délicieuse affaire ! Wackford, mon ami, allez chercher un fiacre. — Un fiacre, mon père ? —