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NICOLAS NICKLEBY.

nie, et le soleil se lève à l’heure indiquée par les almanachs sans avoir égard à aucune considération particulière. Le matin reparut comme de coutume, et M. Frank fut reçu et fêté joyeusement par ses oncles et par Timothée Linkinwater.

— Ah ! M. Frank et M. Nickleby se sont rencontrés hier au soir, dit le vieux commis quittant lentement son tabouret et s’appuyant contre le pupitre ; c’est vraiment une coïncidence remarquable. Je ne vois pas au monde de ville comparable à Londres pour ces sortes de hasards. En est-il en Europe ? Non. En Asie ? Non assurément. En Afrique ? Point du tout. En Amérique ? Encore moins. Où donc en trouver ? — Je ne vous contredirai point là-dessus, dit Frank en riant, et me contenterai de me féliciter de cet heureux hasard. — Eh bien ! tant pis ; j’aurais voulu vous entendre combattre mon opinion. Je vous aurais terrassé !…

Il était impossible d’exprimer par des mots le degré d’abaissement mental auquel eût été réduit, dans la discussion, l’aventureux adversaire de Tim Linkinwater. Le commis en resta donc là, et remonta sur son tabouret.

— Nous devons être enchantés, frère Edwin, dit Charles, d’avoir avec nous deux jeunes gens comme notre neveu Frank et M. Nickleby. — Certainement, Charles, certainement. — Je ne parle pas de Tim, parce que c’est un enfant, un être nul, dont nous ne nous occupons jamais. Qu’en dites-vous, monsieur Tim ? — Je suis jaloux, dit Tim, et j’ai l’intention de chercher un autre emploi. Ainsi, Messieurs, songez à me remplacer.

Tim regarda cette plaisanterie comme si exquise, si supérieure et si extraordinaire, qu’il mit sa plume dans l’encrier, sauta à bas de son tabouret, et rit à en tomber en pâmoison, en secouant autour de lui la poudre de sa perruque. Les deux frères ne demeurèrent pas en arrière, et rirent aussi de l’idée d’une séparation volontaire du vieux Tim et de ses vieux maîtres. Nicolas et M. Frank rirent aux éclats, pour cacher l’émotion que leur avait causée ce petit incident. Et, dans ce moment peut-être, ils goûtèrent plus de plaisir que n’en fit jamais éprouver au cercle le plus aristocratique la méchanceté la plus spirituelle.

— M. Nickleby, dit Charles en le prenant à part, je désire vivement voir si vous êtes convenablement installé dans votre nouvelle demeure : nous ne laisserons manquer de rien, s’il nous est possible, ceux qui nous servent avec tant de zèle. Je veux voir votre mère et votre sœur, les connaître, et leur assurer que les légers services que nous pouvons leur avoir rendus sont largement payés par l’ardeur que vous témoignez. Pas un mot, mon cher monsieur, je vous prie. C’est demain dimanche ; je sortirai sur les cinq heures, à l’heure où l’on prend le thé, et j’irai vous