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NICOLAS NICKLEBY.

des consolations dans la société de ses parents, dont les bras et les cœurs lui étaient ouverts.

— Par affection pour vous, Susanne Kenwigs, dit monsieur Lillywick, et non par désir de me venger d’elle, car elle n’en vaut pas la peine, je placerai sur la tête de vos enfants, payable à l’époque de leur mariage ou de leur majorité, l’argent que je voulais leur laisser par testament. L’acte sera dressé dès demain, et M. Noggs sera l’un des témoins. Il entend ma promesse, et il en verra l’exécution. Accablée de tant de générosité, la famille Kenwigs se mit à sangloter ; et le bruit des sanglots ayant réveillé les enfants couchés dans la chambre voisine, M. Kenwigs s’y précipita, les apporta deux par deux entre ses bras, les jeta en bonnets de nuit et en chemises aux pieds de M. Lillywick, et leur enjoignit de le remercier et de le bénir.

Grâce à un bon souper, à une bonne pipe, à une demi-douzaine de verres de punch, le collecteur se montra bientôt résigné à son sort, et même presque satisfait d’être débarrassé de sa femme.


CHAPITRE XLIII.


À la pointe du jour, Nicolas, qui n’avait pu fermer l’œil, s’élança hors du lit avec cette résolution qu’inspirent souvent les circonstances graves, et se prépara à tenter la seule chance de salut qui lui restât.

Il lui semblait que rester couché était perdre un temps précieux, et que l’exercice le rapprocherait du but qu’il désirait atteindre. Il erra dans les rues de Londres au hasard, en proie à de tristes réflexions. La veille, le sacrifice d’une femme aussi charmante à un pareil misérable lui paraissait une monstruosité trop révoltante pour s’accomplir ; mais l’aspect du mouvement de la population au réveil lui inspirait un sombre découragement.

— Avec quelle régularité, se disait-il, tout reprend chaque jour son cours invariable ! Toujours les avares et les fripons s’enrichissent, tandis que les honnêtes gens sont pauvres et malheureux ; toujours un petit nombre de privilégiés habitent de magnifiques hôtels, tandis que de génération en génération la majorité des hommes est sans abri et sans secours. Le dénûment pousse au crime des familles entières ; l’ignorance est punie sans avoir été éclairée ; les prisons engloutissent des milliers de malheureux prédestinés au mal dès le berceau. Que de misères, que d’injustices,