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NICOLAS NICKLEBY.

départ fut fixé au surlendemain. Dans l’après-midi de ce jour, elle monta sur l’impériale de la diligence qui s’était arrêtée à Greta-Bridge pour relayer.

Toutes les fois que de semblables occasions se présentaient, M. Squeers se rendait le soir à la ville voisine, sous prétexte d’une affaire urgente, et il y restait jusqu’à dix ou onze heures dans une taverne qu’il affectionnait beaucoup. Comme la soirée projetée lui fournissait les moyens de faire avec sa fille une espèce de compromis, il s’empressa d’y donner son assentiment, et annonça à Nicolas qu’on l’attendait à cinq heures pour prendre le thé.

Jusqu’à l’heure fixée, miss Fanny fut dans une violente agitation. Elle avait à peine achevé sa toilette que son amie arriva, et toutes deux se préparèrent à recevoir la société.

— Où est John ? dit miss Fanny. — Il est allé faire un bout de toilette, il sera ici dans un quart d’heure. — Vous serez bientôt au fait, ma chère.

Cependant la servante affamée apporta le thé, et bientôt après on frappa à la porte.

— C’est lui ! s’écria miss Fanny ; oh ! Mathilde !!!… — Silence ! dites : Entrez. — Entrez, murmura miss Fanny d’une voix expirante, et Nicolas parut. — Bonsoir, dit ce jeune homme. M. Squeers m’a appris que… — Oh ! oui, c’est bien, interrompit miss Fanny ; mon père ne prendra pas le thé avec nous ; mais vous n’en êtes pas fâché, je pense ?

Nicolas répondit très-froidement, et fut présenté à la fille du meunier. Il se soumit à cette cérémonie avec tant de grâce, que la jeune personne en fut tout éperdue d’admiration.

— Nous n’attendons plus qu’une personne, dit miss Fanny en ôtant le couvercle de la théière pour regarder si le thé se faisait.

Il était indifférent à Nicolas qu’on attendit une ou vingt personnes. Il reçut cette nouvelle avec une parfaite insouciance, et ne voyant pas de motifs pour chercher à se rendre agréable, il regarda par la fenêtre, et soupira involontairement.

Ici les deux amies firent entendre une multitude de petits ricanements saccadés en se cachant le visage avec leurs mouchoirs de poche, et de temps en temps elles regardaient Nicolas.

Celui-ci, d’abord ébahi, se laissa aller à l’envie de rire que lui causait la conduite déplacée des deux jeunes filles. Ces causes d’hilarité réunies produisirent sur lui une impression si vive, qu’en dépit de sa misérable condition, il rit tant que ses forces le lui permirent.