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NICOLAS NICKLEBY.

Les idées qu’avaient éveillées dans l’esprit de madame Nickleby les mots de modiste et de couturière étaient celles de cartons et de paquets enveloppés de toile cirée, promenés péniblement dans les rues ; mais lorsque Ralph eut parlé, elles disparurent et furent remplacées par des visions de grandes maisons dans le quartier fashionable, de belles voitures particulières, de compte ouvert chez un banquier.

— Ce que dit votre oncle est très-vrai, ma chère Catherine : quand votre pauvre papa et moi vînmes à Londres après notre mariage, une jeune dame m’apporta un chapeau de paille, garni de blanc et de vert, dans sa propre voiture, qui arriva à notre porte au grand galop ; pourtant je ne me rappelle pas bien si c’était une voiture à elle ou un carrosse de louage, mais je me souviens parfaitement que le cheval tomba mort au détour de la rue, et que votre pauvre papa dit que l’animal n’avait pas eu d’avoine depuis quinze jours.

Cette anecdote, qui jetait un jour si éclatant sur l’opulence des modistes, ne parut pas produire un effet bien sensible. Pendant qu’on la racontait, Catherine baissa la tête, et Ralph donna des symptômes évidents d’impatience.

— Le nom de la maîtresse, dit-il précipitamment, est Mantalini, madame Mantalini. Je la connais, elle demeure près de Cavendish square. Si votre fille est disposée à essayer de cet emploi, je vais l’emmener de suite. — Avez-vous quelque chose à dire à votre oncle, mon amour ? demanda madame Nickleby. — Beaucoup, répondit Catherine, mais pas maintenant. J’aime mieux lui parler quand nous serons seuls ; il y aura économie de temps à le remercier et à lui parler chemin faisant.

À ces mots, Catherine se hâta de quitter la chambre pour cacher les traces de son émotion et se préparer à sortir.

Lorsqu’elle fut rentrée, Ralph, dont l’irritation croissait à chaque instant, lui prit le bras et partit sans cérémonie.

— Maintenant, dit-il, marchez le plus vite que vous pourrez, et ce sera le pas qu’il vous faudra prendre tous les matins pour aller à vos travaux ; et il l’entraîna rapidement vers Cavendish square. — Je vous ai beaucoup d’obligation, mon oncle ! dit la jeune fille rompant la première le silence. — J’en suis enchanté ; j’espère que vous ferez votre devoir ? — Je tâcherai de convenir, mon oncle. Je… je… — Ne vous menez pas à pleurer, je déteste les pleurnicheries. — Elles ne servent à rien, je le sais, mon oncle. — Certainement, épargnez-les-moi.

Ces paroles brusques n’étaient pas de nature à sécher les larmes d’une femme jeune et sensible, sur le point de faire sa première apparition sur une scène entière-