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NICOLAS NICKLEBY.

à miss Knags. Elle n’était plus installée sur son siège accoutumé, conservant le maintien noble et digne du représentant de madame Mantalini.

Elle reposait sur un coffre, baignée de pleurs, entourée de trois ou quatre jeunes ouvrières, et la présence de plusieurs flacons de vinaigre, de corne de cerf et autres cordiaux, aurait suffi, même sans le dérangement de sa coiffure anglaise, pour prouver qu’elle venait de s’évanouir.

— Mon Dieu ! s’écria Catherine qui venait d’entrer, qu’y a-t-il donc ?

Cette question provoqua de la part de miss Knags de violents symptômes de rechute, et les ouvrières, lançant à Catherine des regards de colère, redoublèrent les doses de vinaigre et de corne de cerf, et dirent que c’était une honte.

— Qu’est-ce qui est une honte ? qu’est-il arrivé ? dites-le-moi ? — Qu’est-il arrivé ! s’écria miss Knags en se levant tout d’un coup à la grande consternation des jeunes filles assemblées ; vous devriez rougir, vilaine créature ! — Bon Dieu ! dit Catherine presque paralysée par la violence avec laquelle l’adjectif sortit d’entre les dents serrées de miss Knags ; est-ce que je vous ai offensée ? — Vous, m’offenser ! repartit miss Knags, vous ! une enfant, une petite morveuse, une fille de rien ! ha ! ha ! c’est trop fort !

Comme miss Knags prononça ces mots en riant, il est évident qu’ils avaient quelque chose d’excessivement drôle. Toutes les ouvrières imitèrent leur directrice, partirent d’un éclat de rire et se firent de petits signes de tête, comme pour se dire que la plaisanterie était délicieuse.

— La voici, poursuivit miss Knags, quittant son coffre et présentant Catherine en grande cérémonie et avec de profondes révérences à la compagnie enchantée, la voici ! tout le monde parle d’elle. C’est la belle, Mesdames, la beauté, la… Être sans pudeur, va !

À cette crise, miss Knags fut incapable de réprimer un vertueux frémissement, qui se communiqua immédiatement aux ouvrières ; puis elle se mit à rire, puis à pleurer, et reprit en sanglotant de la manière la plus touchante :

— Pendant quinze ans, j’ai été l’honneur et l’ornement de l’atelier et du magasin. Dieu merci ! ajouta-t-elle en frappant du pied avec une remarquable énergie, je n’avais pas encore été exposée aux artifices, aux vils artifices d’une créature qui vous déshonore toutes par sa conduite. Je ressens vivement cet outrage, quoiqu’il excite mon dégoût.

Ici miss Knags se retrouva mal, et les jeunes filles, redoublant d’attention, lui dirent qu’elle devait être au-dessus d’une pareille injure ; que, pour leur part, elles