Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/131

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fille, dit Mme Nickleby d’une voix défaillante et détournant les yeux par modestie.

— Madame, dit avec volubilité le vieux gentleman relevant sa main droite avec une négligence qui ne manquait pas de grâce, comme s’il faisait peu de cas de la fortune, j’ai des terres, des biches, des canaux, des étangs poissonneux, des pêcheries de baleines qui m’appartiennent dans la mer du Nord, et plusieurs bancs d’huîtres d’un grand rapport dans l’océan Pacifique. Prenez seulement la peine d’aller à la banque, ôtez le chapeau à trois cornes de l’huissier robuste qui y fait sentinelle, et vous trouverez, dans la doublure du fond, ma carte enveloppée dans un morceau de papier bleu. On peut aussi visiter ma canne chez le chapelain de la chambre des communes, auquel il est expressément défendu de recevoir de l’argent pour la montrer. J’ai des ennemis autour de moi, madame, continua-t-il en regardant du côté de sa maison, et en parlant tout bas : ils ne me laisseront pas de repos qu’ils ne m’aient dépouillé de mes biens. Si j’avais l’avantage d’obtenir votre cœur et votre main, vous pourriez vous adresser au lord chancelier, ou même, au besoin, appeler les forces militaires. Rien qu’en envoyant mon cure-dent au commandant en chef, cela suffirait ; et alors nous ferions maison nette avant la cérémonie du mariage. Après cela, l’amour, le bonheur et le ravissement ; le ravissement, le bonheur et l’amour. Ah ! soyez à moi, soyez à moi ! »

En répétant ces derniers mots avec un enthousiasme délirant, le vieux gentleman remit son bonnet de velours noir, et, fixant les yeux avec vivacité sur le ciel, dit quelques mots assez peu intelligibles sur un ballon qu’il attendait et qui était un peu en retard, et finit par répéter son refrain :

« Soyez à moi, soyez à moi !

— Ma chère Catherine, dit Mme Nickleby, je ne me sens pas la force de parler, et pourtant il est nécessaire, pour le bonheur de tout le monde, que nous en finissions une fois pour toutes.

— Mais, au contraire, maman, reprit sa fille, il n’y a pas du tout nécessité que vous disiez un mot.

— Permettez-moi, s’il vous plaît, ma chère, de juger par moi-même de ce qui me regarde, dit Mme Nickleby.

— Soyez à moi, soyez à moi ! » cria le vieux gentleman.

Mme Nickleby fixa sur la terre des yeux pudiques, et dit :

« Monsieur, je pourrais me dispenser de faire connaître à un étranger si de pareilles propositions de sa part sont reçues ou non de la mienne avec des sentiments de reconnaissance ou de