Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/14

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monsieur, de mes fermes intentions, répéta Mme Mantalini lançant à son époux un regard de colère.

— Monsieur ! cria Mantalini, je crois qu’elle m’a appelé monsieur ; moi qui raffole d’elle, de toute l’ardeur diabolique de mon cœur ; elle qui m’a subjugué de son regard fascinateur, comme le plus pur et le plus angélique serpent à sonnettes ; voilà le dernier coup porté à ma sensibilité. Elle pourra se flatter de m’avoir précipité dans un diable de désespoir.

— Ne parlez pas de sensibilité, monsieur, reprit Mme Mantalini prenant une chaise et lui tournant le dos. C’est vous qui ne respectez pas la mienne.

— Quoi ! mon âme, je ne respecte pas la vôtre, s’écria M. Mantalini.

— Non, » répliqua sa femme.

Et malgré toutes sortes de cajoleries de la part de M. Mantalini, Mme Mantalini dit non une fois encore, et cela d’un ton si déterminé, avec un mauvais vouloir de parti pris si manifeste, que cela ne laissa pas d’inquiéter M. Mantalini.

« Voyez-vous, monsieur Nickleby, dit-elle en s’adressant à Ralph (qui se tenait appuyé sur son fauteuil les mains derrière le dos et regardait l’aimable couple avec un sourire de mépris le plus suprême et le moins dissimulé), son extravagance, oui, son extravagance ne connaît plus de bornes.

— Vraiment ? qui aurait cru cela ? répondit Ralph d’un ton de sarcasme.

— Eh bien, monsieur Nickleby, c’est comme cela, continua Mme Mantalini ; j’en suis on ne peut plus malheureuse ; dans des appréhensions continuelles, dans des embarras et des difficultés sans fin ; et ce n’est pas encore tout, dit-elle en s’essuyant les yeux ; voilà bien pis : ce matin même, il a pris dans mon bureau des papiers importants sans m’en demander la permission. »

Monsieur Mantalini poussa un sourd gémissement, et par précaution boutonna son gousset.

« Depuis nos derniers malheurs, continua Mme Mantalini, je suis obligée de payer très cher Mlle Knag pour qu’elle serve de prête-nom à mon commerce, et je ne puis en vérité plus encourager mon mari dans son gaspillage extravagant. Comme je ne fais aucun doute qu’il est venu tout droit ici, monsieur Nickleby, pour faire de l’argent avec les papiers dont je vous parlais tout à l’heure ; comme vous nous avez déjà assistés bien des fois, et que personne ne connaît mieux que vous nos affaires, je vais vous faire connaître aussi le parti auquel sa conduite m’a forcée de recourir. »