Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/147

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tes assises ? Ce n’est pas la première fois, l’ami, qu’ils y vont aux assises, les maîtres d’école du Yorkshire, et je ne te conseille pas de revenir là-dessus, c’est trop chatouilleux. »

M. Squeers secoua la tête d’un air menaçant : il était pâle de colère. Puis donnant le bras à sa fille, et tirant le petit Wackford par la main, il opéra sa retraite du côté de la porte.

« Quant à vous, monsieur, dit-il en se retournant vers Nicolas qui, satisfait de lui avoir donné son compte déjà une bonne fois, s’était exprès abstenu de prendre part à la discussion, vous verrez si vous aurez affaire à moi avant peu. Ah ! vous escamotez les enfants, c’est bon. Prenez garde que les pères, n’oubliez pas cela, que les pères ne viennent pas les réclamer et me les renvoyer pour en faire ce que je veux, malgré vos dents.

— Je n’ai pas peur de ça, répliqua Nicolas haussant les épaules et tournant le dos avec mépris.

— Non ? répliqua Squeers avec un regard diabolique. Allons, partons.

— Je vais quitter avec papa cette société-là pour toujours, dit Mlle Squeers portant autour d’elle des yeux pleins de mépris et de hauteur. Je serais honteuse de respirer le même air avec de pareilles gens. Pauvre M. Browdie ! hé ! hé ! hé ! il me fait pitié, vraiment. Quelle dupe ! hé ! hé ! hé ! Perfide et artificieuse Mathilde ! »

Après ce nouvel accès de sombre et majestueuse colère, miss Squeers vida les lieux et, pour soutenir jusqu’au bout la dignité de son rôle, on l’entendait encore sangloter, crier et s’agiter dans le corridor.

John Browdie resta debout derrière la table, à promener ses yeux de sa femme à Nicolas, de Nicolas à sa femme, la bouche toute grande ouverte, jusqu’à ce que sa main tomba par hasard sur le cruchon d’ale qu’il porta par habitude à ses lèvres ; il y cacha quelque temps une partie de sa physionomie, reprit haleine, passa la bière à Nicolas et tira le cordon de la sonnette.

« Holà ! garçon ! dit-il gaiement, alerte. Emporte-moi tout cela, et qu’on nous fasse pour souper quelques grillades, un bon plat et bien conditionné, à dix heures. Apporte-nous un grog au cognac et une paire de pantoufles, vos plus grandes, et lestement. Sarpejeu ! ajouta-t-il en se frottant les mains, je n’ai plus à sortir ce soir, pour aller chercher personne ; ma femme, nous allons commencer pour tout de bon à passer ensemble nos soirées conjugales. »