Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/183

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« M. Browdie, disait Catherine à sa jeune femme, est bien le meilleur homme, le plus cordial, le plus gai que j’aie jamais vu ; je suis sûre que, si j’étais accablée par le poids de je ne sais combien de chagrins, je n’aurais qu’à le regarder pour être heureuse.

— Vous avez raison, Catherine, dit Mme Nickleby, il a l’air d’un excellent homme, et je vous assure, madame, que ce sera toujours avec plaisir, réellement avec plaisir à présent, que je vous verrai venir nous rendre visite comme cela sans gêne et sans cérémonie. Nous ne ferons rien d’extraordinaire, ajouta-t-elle d’un ton à laisser croire que ce n’était pas faute de pouvoir en faire au besoin ; pas d’embarras, pas de préparatifs, je ne le souffrirai pas. Je vous avais bien dit, ma chère Catherine, que vous ne feriez que gêner Mme Browdie autrement, et que ce serait de notre part une folie et un mauvais procédé.

— Je vous ai, madame, la plus grande obligation, répondit Mme Browdie avec reconnaissance. Allons, John, voilà qu’il est près de onze heures. J’ai peur, madame, que nous ne vous fassions coucher trop tard.

— Trop tard ! cria Mme Nickleby avec un mince filet d’éclat de rire et une petite toux au bout, comme on met un point d’exclamation après une interjection admirative ; c’est au contraire de bonne heure pour nous. Si vous saviez jusqu’à quelle heure nous avions l’habitude de veiller ! Minuit, une heure, deux et trois heures du matin, ce n’était rien pour nous. Les bals, les dîners, les parties de cartes… ; les gens que nous avions l’habitude de voir étaient de vrais roués. Quand j’y pense encore quelquefois, je me demande avec étonnement comment nous pouvions y résister, et véritablement c’est l’inconvénient d’avoir de grandes relations sociales et d’être trop recherché par le monde. Aussi je recommande bien aux jeunes ménages d’avoir le courage de ne pas s’y laisser entraîner ; mais, au reste, heureusement, comme de raison, qu’il y a très peu de jeunes ménages qui soient en position d’avoir à lutter contre de semblables tentations. Nous avions surtout une famille qui demeurait à un quart de lieue de chez nous, pas précisément sur la route, mais en tournant tout de suite à gauche à cette barrière où la malle de Plymouth a passé sur le corps d’un âne, une famille composée des gens les plus extraordinaires pour faire tous les jours des parties extravagantes. C’est là, par exemple, qu’on ne ménageait ni le champagne ni les fleurs artificielles, ni les verres de couleur, ni enfin toutes les délicatesses en vins, viandes et liqueurs, que le gastronome le plus éprouvé