Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/196

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

uns et les autres de n’avoir jamais pu épanouir au soleil de la vie leurs affections réciproques, en prennent occasion de sermonner bien haut et les parents et les enfants tout ensemble, et de crier que les liens même de la nature ne sont plus respectés. Les affections et les instincts naturels, mon cher monsieur, sont bien, sans contredit, le chef-d’œuvre de la puissance divine ; mais, comme tous les autres chefs-d’œuvre, ils ont besoin qu’on les soigne et qu’on les cultive, ou bien il n’est pas moins dans la nature qu’ils s’effacent alors complètement pour faire place à d’autres sentiments ; c’est ainsi qu’on voit les fruits les plus doux de la terre, lorsqu’on en néglige la culture, périr étouffés sous le chiendent et les ronces. Voilà les réflexions que je voudrais qu’on fît plus souvent ; et il vaudrait mieux se rappeler plus à propos les obligations que la nature impose, et en parler un peu moins à tort et à travers. »

Après cela, le frère Charles, qui s’était fort échauffé dans ce monologue, s’arrêta pour se calmer un peu, puis il continua en ces termes :

« Vous êtes sans doute surpris, mon cher monsieur, que je n’aie pas montré plus d’étonnement en entendant votre récit tout à l’heure ; cela s’explique aisément : votre oncle est venu ici ce matin. »

Nicolas rougit et fit un pas ou deux en arrière.

« Oui, dit le vieux gentleman frappant, avec vivacité, sur son bureau, il est venu ici, dans cette chambre même ; il est resté sourd à la raison, aux sentiments de famille, à la justice ; mais frère Ned ne l’a pas ménagé, frère Ned, monsieur, aurait tiré des larmes d’une pierre.

— Et il était venu pour… ? dit Nicolas.

— Pour se plaindre de vous, répondit le frère Charles ; pour verser dans nos oreilles le poison du mensonge et de la calomnie ; mais il en a été pour ses frais et n’y a gagné que quelques bonnes vérités qu’on lui a dites. Frère Ned, mon cher monsieur Nickleby, frère Ned est un vrai lion, et Tim Linkinwater aussi. Certainement Timothée est un vrai lion ; nous avions commencé par le faire venir pour lui tenir tête, et en effet il lui a sauté sur le corps dès le premier signal.

— Comment pourrais-je, dit Nicolas, reconnaître jamais toutes les obligations que vos bontés m’imposent chaque jour ?

— En gardant sur ce sujet, mon cher monsieur, un silence absolu, répliqua frère Charles. On vous rendra justice, ou du moins on ne vous fera pas de mal, ni à vous ni aux vôtres, comptez là-dessus ; on ne vous arrachera pas un cheveu de la