Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/209

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— Alors, plus tôt, plus tôt, si vous voulez, dit la demoiselle se tournant du côté de Nicolas.

— Trois ou quatre semaines ! marmottait toujours le père ; mais Madeleine, en vérité ! Ne rien gagner pendant trois ou quatre semaines !

— C’est bien long, madame, dit Nicolas.

— Ah ! vous trouvez ? reprit le père avec colère. Si j’avais la fantaisie de mendier des secours et de m’incliner seulement pour demander l’aide de gens que je méprise, ce n’est pas trois ou quatre mois, monsieur, que je pourrais attendre sans que ce fût trop long, c’est trois ou quatre ans que je n’aurais pas besoin de votre argent. Il faudrait seulement, monsieur, que je voulusse me résoudre à sacrifier mon indépendance, mais, comme je ne le veux pas, repassez dans huit jours. »

Nicolas fit une salutation profonde à la demoiselle et se retira en réfléchissant aux singulières idées que M. Bray se faisait de l’indépendance, et en souhaitant ardemment que Dieu n’envoyât que rarement ces caractères indépendants habiter l’humble argile dont il a pétri le corps humain.

En descendant les escaliers, il entendit au-dessus de lui un pas léger et vit, en se retournant, la jeune fille sur le palier jetant sur lui un regard timide et ne sachant si elle devait le rappeler ou non. Le moyen le plus sûr de trancher la question c’était de remonter quelques marches ; c’est ce que fit Nicolas.

« Je ne sais pas, monsieur, lui dit précipitamment Madeleine, si je fais bien de vous adresser cette prière, mais, je vous en supplie, ne dites rien aux chers amis de ma pauvre mère de ce qui s’est passé là devant vous. Voyez-vous, il a souffert beaucoup cette nuit, c’est ce qui le met de mauvaise humeur ce matin. Je vous le demande, monsieur, comme une grâce, comme une faveur pour moi. »

Nicolas répliqua avec chaleur qu’il suffirait que ce fût de sa part un simple désir pour qu’il fût bien aise de le satisfaire au péril même de sa vie.

« Vous parlez là un peu vite, monsieur.

— Je parle dans la sincérité de mon âme, répondit Nicolas, dont les lèvres tremblaient en même temps ; jamais homme n’a parlé plus sérieusement. Je n’ai pas l’habitude de déguiser mes sentiments, et d’ailleurs, je ne pourrais pas vous cacher mon cœur tout entier, chère madame, aussi vrai que je sais toute votre histoire et que je nourris pour vous les mêmes sentiments que tout homme ou tout ange doit éprouver en vous voyant, et