Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/218

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donné le goût d’en faire sa femme. À cela Ralph ne daigna répondre que par un sourire blessant et par un coup d’œil de dégoût sur le vieillard décrépit qui lui parlait d’amour.

« À présent, dit Gride, passons au petit plan que j’ai imaginé, car j’aurais dû vous dire, si vous ne l’avez pas déjà deviné, que je ne me suis pas encore présenté au père ; mais vous devinez tout : ah ! quel fin matois !

— En ce cas, dit Ralph avec impatience, ne vous y jouez pas ; vous savez qu’il ne faut pas se jouer à plus fort que soi…

— Toujours une réponse à tout sur le bout de la langue, cria le vieil Arthur levant dans son admiration les mains et les yeux vers le ciel. Il n’est jamais pris ; mon Dieu ! qu’on est heureux d’avoir tant d’esprit argent comptant et tant d’argent comptant pour faire honneur à son esprit ! » Puis il changea tout à coup de ton pour continuer ainsi : « J’ai déjà fait plus d’une fois, dans les six derniers mois, le chemin du logement de Bray, car il y a juste six mois que j’ai vu pour la première fois ce morceau friand : oh ! oui, bien friand ! mais laissons cela pour le moment ; c’est moi qui le fais poursuivre comme créancier à son compte de trente-sept mille cinq cents francs.

— Vous avez l’air de dire que vous êtes son seul créancier poursuivant, dit Ralph tirant son portefeuille ; vous auriez tort, car je le suis aussi pour vingt-quatre mille trois cent soixante-quinze francs quatre-vingt-cinq centimes.

— Oui, je le sais, dit vivement le vieil Arthur, vous êtes le seul avec moi, il n’y en a pas d’autre. Tout le monde ne va pas faire la dépense de coffrer un débiteur et on s’en rapporte à nous pour le serrer de près, je vous en réponds. Il n’y a que vous et moi qui nous soyons laissé prendre à ce traquenard. Dieu de Dieu ! quel abîme sans fond ! j’y ai presque laissé toute ma fortune. Quand je pense que nous lui avons prêté notre argent sur simples billets, sans autre garantie que le nom d’un endosseur que tout le monde supposait alors aussi bon que de l’or en barre ; et qui, tout à coup, a tourné comme vous savez ! Quand je pense qu’au moment de mettre la main sur lui il est mort insolvable ! Ah ! j’ai bien manqué d’être ruiné du coup ; il ne s’en fallait guère.

— Et votre plan, dit Ralph, vous ne m’en parlez pas ? À quoi cela sert-il de crier misère entre nous sur les désagréments de notre trafic, puisqu’il n’y a là personne pour nous entendre ?

— C’est égal, c’est toujours bon à dire, répondit le vieil Arthur avec son gros rire, même quand il n’y a personne pour nous entendre ; cela entretient la main. Eh bien ! si j’allais