Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/22

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liments au point de s’en rendre malade (ils n’en font pas d’autres), a attrapé un abcès la semaine dernière. Il fallait la voir à la besogne avec un canif. Dieu de Dieu ! dit M. Squeers avec un profond soupir et des mouvements de tête répétés en l’honneur de son épouse, quel ornement pour la société qu’une femme comme cela ! »

M. Squeers resta absorbé quelques secondes dans ses réflexions, après cet éloge, comme s’il se trouvait, par une transition naturelle, ramené des perfections de sa femme à la douceur paisible du village de Dotheboys, près de Greta-Bridge, en Yorkshire ; puis il regarda Ralph pour voir s’il lui dirait quelque chose.

« Êtes-vous bien remis des voies de fait de ce gredin ? demanda Ralph.

— C’est à peine passé, si toutefois c’est fini, répliqua Squeers. Je n’étais qu’une plaie, monsieur, depuis ici jusque-là (et il promenait ses doigts de la pointe de ses bottes à la racine de ses cheveux) ; du vinaigre et du papier brouillard, du papier brouillard et du vinaigre, depuis le matin jusqu’au soir. Je parie que j’ai bien consommé en tout une demi-rame de papier brouillard. À me voir en peloton dans la cuisine, tout le corps couvert d’emplâtres, vous auriez dit d’un gros paquet de gémissements enveloppé de papier brouillard. Comment est-ce que je gémissais, Wackford, dites ? bien fort, ou bien doucement ? demanda M. Squeers, appelant son fils en témoignage.

— Bien fort, répondit Wackford.

— Et les pensionnaires, Wackford ; étaient-ils contents ou fâchés de me voir dans ce triste état ? demanda M. Squeers d’un air sentimental.

— Cont…

— Comment ? cria Squeers en l’arrêtant à temps.

— Fâchés, répondit son fils.

— Ah ! dit Squeers en lui donnant un bon soufflet ; allons, une autre fois, tâchez de n’avoir pas ainsi vos mains dans vos goussets et de ne pas vous tromper quand on vous interroge ; ne criez pas comme cela chez le monsieur, ou j’abandonnerai Dotheboys et ma famille pour ne plus jamais y remettre les pieds. Et alors on verrait ce que deviendraient ces chers enfants, ces précieux pensionnaires, laissés à eux-mêmes dans le monde, sans l’appui de leur meilleur ami, de leur second père.

— Avez-vous eu besoin de recourir aux soins d’un médecin ? demanda Ralph.

— Si j’en ai eu besoin ! répondit Squeers ; sans compter qu’il