Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/233

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assez heureux pour contracter avec un théâtre d’Amérique, et que Mme Crummles et lui, qui ne pouvaient pas avoir l’espérance de durer toujours, car on n’est pas immortel, excepté dans le sens figuré du mot qui vous assure une vie éternelle dans les fastes de la gloire, avaient formé le projet d’établir là leur dernière résidence. Ils avaient l’espérance d’y acheter quelque propriété qui pût les faire vivre dans leur vieillesse et passer, après eux, entre les mains de leurs enfants. Nicolas approuva fort cette résolution, et la conversation tourna sur ceux de leurs amis communs dont le sort pouvait le mieux intéresser Nicolas et dont M. Crummles était à même de lui donner des nouvelles. Mlle Snevellicci, par exemple, avait fait un bon mariage ; elle avait épousé un jeune chandelier, bien à son aise, fournisseur de chandelles pour le théâtre. Quant à M. Lillyvick, il ne faisait pas tout ce qu’il voulait sous le sceptre tyrannique de Mme Lillyvick, qui avait établi dans sa maison un empire suprême et sans partage.

Nicolas répondit à ces confidences de M. Crummles en lui confiant à son tour son vrai nom, sa situation, ses espérances, et en lui donnant quelques éclaircissements, dans les termes les plus généraux qu’il put le faire, sur les circonstances qui avaient précédé leurs premières relations.

Après l’avoir félicité de tout son cœur des changements heureux survenus dans sa fortune, M. Crummles lui annonça que, le lendemain matin même, sa famille et lui partaient pour Liverpool, où ils trouveraient prêt à mettre la voile le vaisseau qui devait les arracher aux rivages de l’Angleterre, et il prévint Nicolas que, s’il voulait dire un dernier adieu à Mme Crummles, il fallait qu’il acceptât une place au souper de départ donné le soir même en l’honneur de la famille dans une taverne voisine. C’est M. Snittle Timberry qui devait le présider. Les honneurs de la vice-présidence étaient dévolus à l’avaleur de sabres africain.

Cependant le foyer des acteurs s’était rempli petit à petit, l’air y devenait étouffant et la foule plus compacte, enrichie tout nouvellement encore de la présence de quatre gentlemen qui venaient de se tuer les uns les autres dans la pièce que l’on représentait sur le théâtre. Nicolas se hâta d’accepter l’invitation et de promettre de revenir après la représentation. Il se hâta surtout de sortir, car il préférait l’air frais et pur d’une soirée d’été, au dehors, au parfum composé du gaz, des peaux d’orange et de la poudre à canon qui empestait les coulisses resplendissantes de l’éclat des quinquets.

Il profita de cet intervalle pour aller acheter une tabatière