Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/235

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’il ne peut bouger ; mais on entend les doux sons de la musique, et alors on le voit approcher à quatre pattes d’un cottage voisin pour y demander du secours, et il fait tout le long du chemin une telle collection de bonds divers et de tortillements ; il retrousse ses jambes avec tant de souplesse ; il tombe et se relève tant de fois, qu’il faut assurément, pour jouer ce rôle de moribond, un hercule bien stylé à faire tout ce qu’il veut de son corps. Eh bien ! M. Snittle Timberry s’était fait si bien comme une seconde nature de ses poses forcées que, tout le long du chemin, pour aller du théâtre à la taverne, où le souper était servi, il se livra à une série d’exercices gymnastiques qui faisaient l’admiration de tout le monde, pour mieux prouver sans doute la gravité de son indisposition récente et les effets désastreux qu’elle avait produits sur son système nerveux.

« Par exemple ! dit Mme Crummles quand on lui présenta Nicolas, voilà un bonheur auquel je ne m’attendais pas.

— Ni moi non plus, répliqua Nicolas ; c’est un hasard heureux qui m’a procuré cette occasion de vous voir, quand d’ailleurs j’aurais donné quelque chose de bien bon cœur pour avoir ce plaisir.

— Voici quelqu’un de votre connaissance, dit Mme Crummles en faisant avancer le phénomène, en robe de gaze bleue, avec d’immenses volants et en pantalon de même étoffe ; et puis en voici encore un autre, continua-t-elle en présentant successivement les jeunes Crummles. À propos, comment se porte votre ami le fidèle Digby ?

— Digby ? dit Nicolas oubliant un instant l’ancien nom de guerre de Smike ; ah ! j’y suis, il se porte tout à fait… qu’est-ce que j’allais donc dire ? il est loin de bien se porter.

— Comment ! s’écria Mme Crummles, reculant de deux pas comme dans la tragédie.

— J’ai peur, dit Nicolas secouant la tête et souriant, sans en avoir envie, que votre époux, madame Crummles, ne fût encore plus frappé que la première fois qu’il l’a vu de son aptitude physique à jouer les apothicaires affamés.

— Que voulez-vous dire ? répondit Mme Crummles du ton qui lui valait le plus d’applaudissements au théâtre ; d’où vient cet air triste ?

— Je veux dire que j’ai un lâche ennemi qui a voulu me frapper dans la personne de mon ami, et que, dans l’espérance de me faire de la peine, il le persécute, il lui inflige de telles tortures d’inquiétude et de terreur que… mais excusez-moi, dit Nicolas en se retenant, ce sont des choses dont je ferais mieux de