Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/240

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Il ne se fit pas prier pour régaler la compagnie de cette petite harangue supplémentaire, dans laquelle il chanta leurs vertus, leurs qualités aimables, leurs mérites excellents, les souhaitant pour fils et pour filles à tous les messieurs et à toutes les dames là présents qui jouirent de ce souhait en silence. À ces solennités succéda un intervalle de repos égayé par des distractions musicales et d’autres intermèdes prévus. Ils ne furent pas plutôt finis, que M. Crummles proposa la santé de cet artiste éminent, l’honneur et l’ornement de sa profession, M. Snittle Timberry ; puis, un peu plus tard, dans la soirée, il porta la santé de cet autre artiste, également l’honneur et l’ornement de sa profession, l’avaleur africain, auquel il donnait, avec sa permission, le titre de son cher ami ; et, en effet, l’avaleur africain, d’un geste gracieux, accorda cette permission qu’il n’avait aucune raison particulière de refuser. C’était le tour de l’homme de lettres à voir tout le monde boire à sa santé ; mais il fallut y renoncer quand on découvrit qu’il avait commencé lui-même par boire trop de petits verres à sa propre santé et qu’il ronflait sur les marches de l’escalier. Ce furent les dames qui profitèrent de l’honneur qu’on lui avait réservé. Enfin, après une séance très longue, M. Snittle Timberry leva le siège, et la compagnie se dispersa au milieu des embrassements et des adieux.

Nicolas resta le dernier pour distribuer ses petits cadeaux. Après avoir fait le tour de la famille, quand il arriva à M. Crummles, il ne put s’empêcher de remarquer en lui-même la différence de leur séparation présente, pleine de naturel et de simplicité et des adieux théâtrals que le directeur lui avait faits à Portsmouth. Ses grands airs dramatiques avaient entièrement disparu et, quand il lui mit la main dans la sienne, il le fit avec une tristesse si touchante que, s’il avait pu en garder la recette, pour les scènes pathétiques de ce genre, dans ses rôles, elle eût suffi pour en faire le meilleur acteur de son temps dans la comédie bourgeoise ; et, lorsque Nicolas la reçut avec toute la chaleur sincère et cordiale qu’il ressentait en effet, Vincent Crummles en fut ému jusqu’aux larmes.

« Le bon temps ! dit le pauvre homme, la bonne petite vie que nous avons menée ensemble ! Nous n’avons jamais eu un mot plus haut que l’autre. Je suis sûr que demain matin j’aurai bien du plaisir à penser que je vous ai revu la veille, mais aujourd’hui, je voudrais presque que nous ne nous fussions pas revus. »

Nicolas se préparait à relever l’abattement de ces adieux par quelque gaie réplique lorsqu’il fut tout à fait déconcerté par