Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/270

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garder leur tête pour gagner au jeu et qui vivaient de ces scènes de désordre, se jetèrent sur les combattants, les séparèrent de force et les entraînèrent à quelque distance l’un de l’autre.

« Lâchez-moi, s’écriait sir Mulberry d’une voix épaisse et enrouée, c’est lui qui m’a frappé : vous m’entendez, je vous dis qu’il m’a frappé ; n’ai-je pas ici quelque ami ? qu’il vienne. Ah ! c’est vous, Westwood, vous venez de m’entendre dire qu’il m’a frappé.

— Oui, oui, je vous ai entendu, répliqua l’un de ceux qui le retenaient : retirez-vous, laissez passer la nuit là-dessus.

— Non, de par tous les diables, répliqua-t-il, il y a là une douzaine de témoins qui ont vu donner le soufflet.

— Il sera bien temps demain, dit l’autre.

— Il ne sera pas temps du tout, cria sir Mulberry : ce soir, tout de suite, ici même ! » Sa fureur était si grande qu’il était là, les poings fermés, s’arrachant les cheveux et trépignant des pieds sans pouvoir articuler.

« Qu’est-ce que c’est donc, milord ? disait à lord Verisopht un de ceux qui l’entouraient, est-ce qu’il y a eu des soufflets ?

— Non, il n’y en a eu qu’un, répondit-il encore tout ému : c’est moi qui l’ai donné. Je suis bien aise que tout le monde le sache ici. À présent il faut arranger l’affaire avec lui. Capitaine Adams, dit le jeune lord jetant un regard rapide autour de lui et s’adressant à l’un de ceux qui les avaient séparés, dites-moi, je voudrais bien vous dire un mot. »

La personne en question s’approcha, prit son bras, l’emmena quelques pas plus loin dans un coin où les rejoignirent bientôt sir Mulberry et son ami Westwood.

Il y a peut-être des endroits mieux famés où une telle affaire aurait pu éveiller la sympathie pour ou contre et donner lieu à quelque remontrance amicale, à quelque intervention officieuse. Peut-être alors aurait-on pu l’arrêter sur-le-champ et laisser au temps et à la réflexion le soin de calmer les esprits à jeun ; mais le lieu de la scène était au contraire un rendez-vous de mauvais sujets, un bouge de la pire espèce. Troublée au milieu de ses débauches, la société se sépara. Les uns s’en allèrent chancelants, avec l’air de cette gravité stupide, hébétée par le vin ; les autres discutant à grand bruit les détails de la scène qui venait de se passer sous leurs yeux. Les honorables habitués dont l’industrie était de vivre du produit de leur gain se dirent l’un à l’autre en s’en allant que Hawk était un bon tireur. Quant à ceux qui avaient fait le plus de tapage, ils tombèrent endormis sur les sofas et n’y pensèrent plus.