Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/276

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valaient pas la peine qu’on y touchât. Les bois de lit, avec leurs pieds lourds, leurs piliers carrés, ressemblaient plutôt à des tombeaux dressés pour les cauchemars de l’insomnie ; leurs rideaux moisis se ramassaient en petits plis les uns contre les autres, pour se communiquer tout bas, de proche en proche, quand ils étaient froissés par le vent, leurs craintes tremblantes sur la sécurité des objets séduisants qui pouvaient tenter les voleurs, dans l’ombre des cabinets voisins soigneusement fermés.

C’est du fond de la chambre la plus triste et la plus affamée de toute cette maison, le temple de la tristesse et de la faim, qu’un beau matin se firent entendre les accents chevrotants de la voix du vieux Gride gazouillant, d’un ton de croque-mort, la queue de quelque chansonnette oubliée :

Tari ta ta,
Jette-moi là
Tes vieux souliers, car je t’épouse.
Toute fille en sera jalouse.

Peut-être n’en savait-il plus que ce refrain dont il répétait encore les notes aiguës et tremblotantes, si un violent accès de toux n’était venu l’obliger à se modérer et à poursuivre en silence les soins dont il était en ce moment occupé.

Ces soins consistaient à tirer, des planches d’une garde-robe vermoulue, quantité de hardes malpropres, l’une après l’autre ; à leur faire subir un examen soigneux et minutieux, en les tenant devant ses yeux contre le jour ; puis, après les avoir remises exactement dans leurs plis, il les rangeait dans l’un des deux tas qu’il avait faits près de lui. Il se gardait bien de jamais prendre à la fois, dans l’armoire, deux articles de toilette ; il ne les prenait qu’à mesure, un par un, et ne manquait pas de fermer la porte de la garde-robe et de tourner la clef à chaque visite nouvelle qu’il faisait à ses planches.

« L’habit tabac ! dit Arthur Gride en inspectant un habit usé jusqu’à la corde : étais-je bien en couleur tabac ? je ne me rappelle plus. »

En y réfléchissant, il ne parut pas satisfait de ses souvenirs, car il replia ce vêtement, le mit de côté et monta sur une chaise pour en prendre un autre, toujours en chantonnant :

Jeunesse, amour et beauté,
Argent, fraîcheur et santé.
Oh ! l’heureuse épouse !
Toute fille en sera jalouse.

« Je ne vois pas où ils vont toujours chercher la jeunesse