Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/287

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pre de rouge qu’il était, et en fixant les yeux sur Nicolas pendant ce temps-là de toute sa force. »

Étonné de le voir devenu tout à coup si mystérieux, Nicolas lui fit une foule de questions pour tirer de lui quelque chose, mais en vain ; il fut impossible d’obtenir de Newman le moindre éclaircissement. C’était toujours la même répétition : combien il était inquiet et perplexe ! combien il fallait de précaution ! comment Ralph, ce renard aux yeux de lynx, l’avait déjà vu dans la compagnie d’un correspondant inconnu ; toute la peine qu’il avait eue à le dérouter par une extrême discrétion dans ses manières et une grande habileté dans ses réponses ; heureusement qu’il était sur ses gardes, et que, dès l’origine, il s’était préparé à cette lutte de finesse.

Nicolas n’avait pas oublié les goûts de son compagnon, et il suffisait de voir son nez pour les connaître : c’était comme un fanal placé sur sa figure pour en avertir les passants. Il l’attira donc dans une petite taverne borgne, où il se mit à repasser avec lui l’origine et les progrès de leur intimité, reprenant un à un, comme cela se fait souvent, les petits incidents les plus intéressants qui l’avaient signalée ; c’est ainsi qu’ils arrivèrent à la mystification de l’affaire Cécilia Crevisse.

« À propos ! dit Newman, cela me rappelle que vous ne m’avez jamais dit le vrai nom de votre dulcinée.

— Madeleine ! cria Nicolas.

— Madeleine ! s’écria aussi Newman ; quelle Madeleine ? son autre nom ?… Voyons ! quel est son autre nom ?

— Bray, dit Nicolas tout étonné de cette ardeur de questions.

« C’est cela même ! cria Newman. Diable ! ça va mal. Comment aussi restez-vous là à vous croiser les bras, à regarder faire ce mariage abominable, sans faire rien seulement pour essayer au moins de la sauver ?

— Que voulez-vous dire ? s’écria Nicolas bondissant. Un mariage ! êtes-vous fou ?

— Il y en a un de nous deux qui est fou. Qui sait si ce n’est pas elle qui est folle ? Mais vous êtes donc aveugle, sourd, paralysé, mort et enterré ? dit Newman. Vous ne savez donc pas que, dans vingt-quatre heures, grâce à votre oncle Ralph, elle va épouser un homme qui ne vaut pas mieux que lui, pire encore si c’était possible ? Vous ne savez donc pas que, dans vingt-quatre heures, elle va être sacrifiée, aussi sûr que vous êtes là vivant devant moi, à un vieux coquin, un vrai fils du diable, qui en remontrerait à son père ?

— Faites attention à ce que vous dites, répliqua Nicolas. Au