Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/294

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ne croyait pas qu’il y eût au monde personne de si malheureux qu’elle. Là-dessus, Morleena Kenwigs versa aussi de nouvelles larmes, et la mère et la fille se mirent à sangloter à qui mieux mieux.

Voilà où en étaient les choses lorsqu’on entendit d’en haut le pas boitillant de Newman qui grimpait l’escalier. Aussitôt l’espérance rentre dans le cœur maternel avec le bruit de ces pas bienheureux et ne laisse plus sur sa physionomie que de légères traces de sa dernière émotion. Elle va donc au-devant de son voisin sur le palier, et lui expose leur embarras en finissant par le supplier d’escorter Morleena jusque chez le coiffeur.

« Je n’aurais jamais osé, monsieur Noggs, vous demander ce service, si je ne connaissais pas toute votre bonté, toute votre obligeance. Oh ! non, jamais ! je ne suis qu’une femme, monsieur Noggs, mais rien au monde ne pourrait me décider à demander une faveur à quelqu’un que je croirais capable de me la refuser, pas plus qu’à voir mes enfants écrasés et foulés aux pieds par la basse jalousie des envieux. »

Mme Kenwigs n’aurait pas fait toutes ces déclarations à Newman, qu’il était assez bon enfant naturellement pour ne pas lui refuser ce bon office ; aussi, en moins de deux minutes, miss Morleena et lui étaient en route pour la boutique du coiffeur.

Ce n’était pas exactement une boutique de coiffeur. À la voir, les gens grossiers qui ont un tour d’esprit vulgaire et commun auraient plutôt dit que c’était une boutique de barbier ; le fait est qu’on ne s’y bornait pas à tailler et à friser avec élégance les cheveux des dames, et à soigner la tête des petits enfants, mais qu’on y faisait aussi la barbe d’une main légère. Mais cela n’empêchait pas que ce ne fût un établissement tout à fait distingué ; des gens même disaient de premier ordre. Et de fait, on y voyait dans la montre, avec d’autres jolies choses, le buste en cire d’une belle blonde et d’un beau brun qui faisaient l’admiration de tout le voisinage. Il y avait même des dames qui étaient allées jusqu’à dire que le beau brun n’était rien autre chose que le portrait véritable du jeune et aimable propriétaire de l’établissement. Ce qui donnait quelque valeur à cette assertion, c’était la grande ressemblance qu’il y avait entre la coiffure de sa tête réelle et vivante, et celle de sa tête de cire. En effet, elles étaient aussi luisantes l’une que l’autre, elles avaient toutes deux au milieu une ligne étroite, tracée au cordeau comme une allée de jardin, et des deux côtés une égale profusion de boucles circulaires retroussées en l’air comme des accroche-cœurs ; mais cependant les personnes du sexe les mieux informées ne faisaient