Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/297

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— Quelque chose ! monsieur, cria M. Lillyvick. Le robinet de la vie est à sec, monsieur, il ne reste plus que la lie au fond du réservoir. »

En entendant ce style, qui n’était pas très clair, mais dont il attribua le genre théâtral à son association récente avec des artistes dramatiques, Newman se disposait à faire quelque autre question ; mais M. Lillyvick, qui s’en aperçut, l’en empêcha en lui serrant d’abord tristement la main dans la sienne, puis en lui faisant signe de l’autre de ne pas l’interroger.

« Laissez-moi d’abord raser, dit M. Lillyvick ; je vais être expédié avant Morleena… car c’est Morleena, n’est-ce pas ?

— Oui, sans doute, dit Newman.

— Les Kenwigs ont aussi un garçon, n’est-ce pas ? »

Newman répondit encore affirmativement.

« Et est-il gentil, le petit garçon ? demanda le percepteur.

— Mais, pas trop mal, répondit Newman, qui trouvait la question un peu embarrassante.

— Suzanne Kenwigs, reprit l’autre, disait souvent que, si jamais elle avait encore un petit garçon, elle espérait bien qu’il me ressemblerait. Me ressemble-t-il, monsieur Noggs ? »

Autre question embarrassante que Newman éluda en répondant à M. Lillyvick qu’en effet le petit garçon pourrait bien lui ressembler plus tard.

« Je serais bien aise, dit M. Lillyvick, d’avoir quelqu’un qui me ressemblât par quelque endroit avant de mourir.

— Mourir ? vous n’y êtes pas, dans tous les cas, dit Newman.

— Attendez que je sois rasé, » répliqua M. Lillyvick d’une voix solennelle ; et, se remettant entre les mains du garçon, il ne dit plus un mot.

C’était cela qui était drôle, si drôle même aux yeux de miss Morleena, que cette demoiselle, au risque de se faire couper l’oreille, ne put s’empêcher de se retourner plus de vingt fois pendant le précédent dialogue. Toutefois, M. Lillyvick n’eut pas seulement l’air de la connaître : au contraire, il essayait (au moins c’était l’opinion de Newman Noggs) d’échapper à ses regards et de se replier sur lui-même toutes les fois qu’il attirait son attention. Newman se demandait avec étonnement ce qui avait pu occasionner un pareil changement de la part du percepteur des taxes ; mais, réfléchissant, en véritable philosophe, qu’il le saurait toujours tôt ou tard, et qu’il pouvait parfaitement attendre, il ne se laissa, au bout du compte, troubler que le moins possible par la singularité de manières du vieux gentleman.