Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/312

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quelques années ; je lui rends de l’aisance… je pourrais mieux dire, plus que de l’aisance… et je soulage son cœur généreux d’un fardeau bien pénible, en ne lui laissant plus le soin d’assister un homme qui, permettez-moi de le dire avec douleur, ne sympathise pas avec son noble cœur ; mais n’allez pas m’estimer assez peu pour me croire capable de feindre un amour que je ne ressens pas. N’allez pas me faire cette réputation : je sens mon cœur faillir à cette seule pensée. Mais si la raison ou la nature ne me permet pas d’aimer l’homme qui paye si cher le mince honneur d’obtenir ma main, je puis toujours remplir avec lui mes devoirs de femme, je puis lui donner tout ce qu’il attend de moi, et je le ferai. Il consent à me prendre telle que je suis, je lui ai donné ma parole ; c’est le moment de m’en réjouir plutôt que d’en pleurer, j’y suis résolue. L’intérêt que vous prenez au sort désespéré d’une fille sans appui comme moi, la délicatesse avec laquelle vous avez répondu à la confiance de vos amis, la discrétion fidèle que vous avez mise à remplir vos promesses envers moi méritent mes remerciements les plus chaleureux, et vous pouvez voir que j’y suis sensible jusqu’aux larmes ; mais il ne faut pas croire que je me repente ni que je sois malheureuse ; je suis heureuse, au contraire, de penser à tout le bonheur que je puis répandre autour de moi par un si léger sacrifice, et je suis sûre que je le serai encore davantage plus tard, quand j’y reviendrai par la pensée et que tout sera fini.

— Vous ne pouvez pas vous-même parler de votre bonheur sans que vos pleurs redoublent, dit Nicolas, et vous fuyez en vain le spectacle de l’avenir lugubre qui vous apparaît chargé de tant de maux. Remettez ce mariage d’une semaine, rien que d’une semaine !

— Il me parlait justement, quand vous êtes entré, avec une gaieté qui me rappelle déjà des temps bien éloignés, car il y a bien longtemps de cela, de la liberté qu’il allait recouvrer demain, dit Madeleine avec une fermeté passagère ; de cet heureux changement, de l’air pur qu’il allait enfin respirer, de tous les objets, de tous les tableaux nouveaux qui allaient rajeunir sa constitution épuisée. Comme son œil brillait, comme son visage resplendissait, rien que d’y penser ! Oh ! non, je ne remettrai pas son bonheur d’une minute.

— Tout cela, ce n’est qu’artifice et que ruse pour peser sur votre volonté, cria Nicolas.

— Je ne veux plus, dit Madeleine précipitamment, rien entendre là-dessus, je n’en ai déjà que trop entendu, plus que je n’aurais dû sans doute. Tout ce que je viens de vous dire, mon-