Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/344

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au début. Je ne me flatte pas d’avoir plus de pénétration qu’une autre en pareille matière. Je puis en avoir davantage, c’est à ceux qui me connaissent à le dire, et je crois bien qu’ils le pensent. Mais ce n’est pas à moi à insister là-dessus, ce serait manquer à la modestie, et d’ailleurs cela ne fait rien à la question. »

Nicolas moucha la chandelle, mit ses mains dans ses goussets, se renversa dans son fauteuil, et prit un air de patience douloureuse et de mélancolique résignation.

« Je crois de mon devoir, mon cher Nicolas, reprit sa mère, de vous dire ce que je sais, non seulement parce que vous avez le droit de le connaître aussi, comme tout ce qui se passe dans notre famille, mais parce qu’il dépend de vous de seconder nos vues et de faire réussir la chose ; et il n’est point douteux qu’en pareille circonstance il vaut toujours mieux éclaircir ses doutes plus tôt que plus tard. Or, il y a une foule de moyens que vous pouvez employer : soit en allant faire un petit tour de promenade dans le jardin, soit en montant pour un moment dans votre chambre ; soit en ayant l’air de faire un somme sur votre chaise ; soit en prétextant une affaire que vous aviez oubliée, qui vous appelle dehors pour une heure ou deux, avec Smike. Tout cela paraît bien peu de chose, et peut-être trouvez-vous drôle que j’y attache tant d’importance ; et cependant, mon cher ami, je puis vous assurer (et vous le verrez vous-même un de ces jours, si vous devenez jamais amoureux, comme je l’espère, pourvu que votre prétendue soit une fille honnête et respectable ; d’ailleurs vous êtes incapable de placer votre affection autrement) ; je puis vous assurer que ces petites choses-là ont beaucoup plus d’importance que vous ne pourriez le croire. Si votre pauvre papa était encore de ce monde, il vous dirait lui-même toute la conséquence de laisser seuls le jeune homme avec la demoiselle. Vous sentez bien qu’il ne s’agirait pas de quitter la chambre comme si vous le faisiez exprès, mais comme par pur accident, et vous reviendriez de même. Si vous toussez dans le corridor avant d’ouvrir la porte, ou si vous sifflez sans faire semblant de rien, ou si vous fredonnez un air, et bien d’autres choses de la sorte, pour leur faire entendre que vous arrivez, cela vaut toujours mieux ; parce que, comme de raison, quoiqu’il n’y ait rien de mal dans ces entrevues secrètes, il y a toujours quelque confusion à se voir surpris l’un et l’autre quand on est… quand on est assis sur le sofa, et… une foule de choses. C’est bien ridicule sans doute, mais enfin c’est comme cela. »