Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/359

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non plus. Snawley lui-même, après tout, n’a qu’une chose à faire, c’est de ne pas se démentir dans le conte qu’il a forgé : et le seul risque qu’il ait à courir, c’est de se trahir lui-même. Et puis, après cela, venez donc me parler de vos risques dans le complot !

— Oui, des risques, je vous le répète, répondit Squeers contrarié et visiblement mal à son aise. N’allez-vous pas me faire croire que c’est une faveur, maintenant, dont je vous dois de la reconnaissance ?

— Appelez-le comme vous voudrez, dit Ralph s’échauffant, mais écoutez-moi. Dans l’origine, quand on a fabriqué cette histoire, de quoi s’agissait-il ? de vous venger d’un garnement qui vous avait fait du tort dans votre commerce, et qui vous avait presque laissé mort sur la place : c’était de vous mettre à même de rentrer en possession d’un pauvre diable de moribond que vous teniez à recouvrer, parce que, en lui faisant expier sa part de complicité dans l’affaire, vous saviez bien qu’en même temps ce serait pour votre ennemi la plus rude punition à lui infliger que de lui reprendre son protégé. N’est-il pas vrai, monsieur Squeers ?

— Mais, monsieur, répliqua Squeers vaincu par les arguments entassés par Ralph pour le mettre dans son tort, et par son ton sévère et inflexible, c’est vrai jusqu’à un certain point.

— Qu’entendez-vous par là ?

— Mais jusqu’à un certain point veut dire naturellement que ce n’était pas pour moi tout seul, et que vous aviez hier aussi une vieille rancune à satisfaire.

— Si je n’en avais pas eu, dit Ralph sans se déconcerter le moins du monde, vous imaginez-vous que je vous aurais aidé là-dedans ?

— Oh ! je sais bien que non, répliqua Squeers. Je tenais seulement à poser carrément la question, pour qu’il n’y ait pas de malentendu entre nous.

— Cela allait tout seul, reprit Ralph. Mais, par exemple, tout n’est pas égal entre nous : c’est moi qui paye la folle enchère. L’argent que je sacrifie à ma haine, vous, vous l’empochez au profit de la vôtre. Vous êtes au moins aussi avare que vindicatif. Je ne dis pas que je vaille mieux que vous. Mais enfin quel est le mieux partagé, de celui qui peut tirer de la chose argent et vengeance du même coup de filet, et qui, dans tous les cas, s’il n’est pas sûr de sa vengeance, est bien sûr de l’argent qu’il tient ; ou de celui qui n’est sûr que d’une chose, d’avoir dépensé son argent d’abord, qu’il puisse ou non se venger après ? »