Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/366

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rai à regagner le temps perdu que pour une misère, un petit arriéré de coups de verges à liquider pour me mettre au courant ; mais il ne me faut pas plus de deux jours pour acquitter mes dettes, et d’ailleurs deux mille cinq cents francs valent bien un petit surcroît de besogne. Mais voici bientôt le moment d’aller trouver la bonne femme. D’après ce qu’elle m’a dit hier au soir, j’ai lieu de croire que c’est aujourd’hui que nous allons terminer, ou jamais. Commençons par prendre encore un petit verre pour porter une santé à mon succès et me mettre de belle humeur. Madame Squeers, ma bien-aimée, à votre santé ! »

Et, de son œil unique, il salua, selon l’usage, la dame qui était censée lui faire raison de sa santé comme si elle eût été là. Dans son enthousiasme, sans doute, il s’oublia jusqu’à se verser une rasade à pleins bords et la vider d’un trait. Or, comme le liquide était un spiritueux actif et qu’il n’avait pas épargné ses visites à la bouteille, il n’est pas surprenant qu’il se trouvât cette fois d’une gaieté parfaite, l’esprit monté à la hauteur de sa mission.

Sa mission ne fut pas longtemps un mystère. En effet, après avoir fait quelques tours dans la chambre pour se dégourdir les jambes, il prit la bouteille sous son bras, le verre à sa main, souffla la chandelle, ce qui annonçait qu’il s’attendait à ne pas revenir tout de suite, se glissa à la dérobée vers l’escalier, grimpa à pas de loup jusqu’à une porte vis-à-vis de sa chambre et il y tapa doucement trois petits coups.

« Qu’ai-je besoin de frapper à la porte, dit-il par réflexion, puisqu’elle n’entend pas ? Je ne suppose pas que je la surprenne indiscrètement à faire quelque chose d’extraordinaire, et d’ailleurs, qu’est-ce que cela me fait ? »

Sans autre préambule, M. Squeers poussa le loquet, et, passant la tête dans un grenier bien autrement déplorable que celui qu’il venait de quitter, s’assura qu’il n’y avait personne que la vieille, qui se chauffait à un feu misérable (car si l’on était encore en automne, le temps était froid comme en hiver), entra et lui donna une petite tape sur l’épaule.

« Eh bien ! ma Slider ? dit M. Squeers d’un ton jovial.

— Est-ce vous ? demanda Peg.

— Certainement, que c’est moi. Moi, première personne singulier nominatif, s’accordant avec le verbe c’est, et gouverné par Squeers, sous-entendu, comme le cheval, la rose. Exception : quand l’h est aspirée, le, la perdent la voyelle finale, comme dans l’hâne, l’hamour, » répondit M. Squeers, citant au hasard des bribes de grammaire.