Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/369

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« C’est que, voyez-vous, moi, je suis au courant de tout ce qui se fait dans ce genre-là, continua Squeers. Il ne se passe rien comme cela que je n’y sois pour quelque chose. Je suis une espèce d’homme de loi de première qualité, et connu pour mon habileté. Je suis l’ami intime et le conseiller de confiance de presque tous les hommes, les femmes, les enfants qui se trouvent dans l’embarras pour avoir les doigts trop agiles. »

M. Squeers allait défiler le chapelet de tous ses talents et de ses mérites variés, car c’était concerté entre lui et Ralph Nickleby, et d’ailleurs il puisait dans la bouteille un flot d’éloquence intarissable, lorsque Mme Sliderskew l’interrompit pour lui crier à tue-tête, en se croisant les bras et en remuant la tête comme une pagode :

« Ha ! ha ! ha ! Il ne s’est donc pas seulement marié, ah ! il n’est pas marié ?

— Non, répliqua Squeers, je peux vous en répondre.

— Et il est survenu un jeune godelureau qui lui a enlevé sa femme à son nez et à sa barbe !

— Comme vous dites, et ce n’est pas là tout. On m’a assuré qu’il l’a rossé comme il faut, qu’il a cassé les vitres, et lui a fait avaler ses rubans de marié, jusqu’à l’étrangler.

— Contez-moi donc encore tout ça, cria Marguerite dont la malice prenait un singulier plaisir à se faire répéter toujours la déconvenue de son ancien bourgeois, et dont les yeux pétillaient d’une joie qui ne faisait qu’ajouter à sa laideur hideuse, je veux encore en entendre les détails, en commençant par le commencement, comme si vous ne m’aviez jamais rien dit. N’oubliez pas un mot, et ceci et cela, tout, en recommençant au moment même où il est allé le matin à la maison de sa belle. »

M. Squeers, tout en gratifiant fréquemment Mme Sliderskew de la liqueur enchanteresse dont il prenait lui-même abondamment sa part pour soutenir les efforts de sa voix, eut la complaisance de lui décrire, par le menu, la déconfiture d’Arthur Gride, avec tous les enjolivements que lui suggéra en passant son imagination inventive, dont la fertilité avait séduit tout d’abord la vieille, dès leur première entrevue. Mme Sliderskew, en l’écoutant, était dans l’extase du bonheur, elle roulait sa tête dans tous les sens, elle levait ses épaules décharnées, elle ridait sa face cadavéreuse, avec des variations d’abominable laideur si multiples et si compliquées que M. Squeers lui-même ne pouvait pas revenir de son étonnement, égal à son dégoût.

« Ah ! le vieux bouc ! le vieux traître ! disait-elle. M’a-t-il flouée avec ses fourberies et ses promesses trompeuses ; mais