Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/376

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ses propres mains. Ou bien encore, il y avait la longue rangée de haies où Nicolas et sa sœur cueillaient brin à brin un bouquet de fleurs sauvages. Ici les pelouses et les chemins ombragés où ils s’étaient si souvent égarés ensemble. Pas un sentier, pas un ruisseau, pas un taillis, pas une chaumière qui ne fût liée à quelque événement enfantin qui lui revenait tout à coup en mémoire comme tous les souvenirs d’enfance. Des riens, un mot peut-être, un rire, un regard, un chagrin passager, une idée rapide, un éclair de frayeur naïve : et pourtant ces riens charmants se détachent plus nets et plus distincts sur le fond de notre mémoire que les épreuves les plus cruelles et les afflictions les plus profondes de l’an passé, dans un autre âge.

Dans une de ces excursions, ils traversèrent un jour le cimetière où était le tombeau de son père. « Ici même, dit Nicolas avec émotion, nous venions souvent nous promener avant de savoir ce que c’est que la mort ; nous ne songions guère qu’un jour la terre y recouvrirait des cendres précieuses. Le silence du lieu nous invitait à nous y asseoir pour prendre quelque repos, en causant tout bas. Une fois, Catherine se perdit : après une heure de recherche inutile, on la trouva tranquillement endormie sous cet arbre qui jette son ombre sur la tombe de mon père. Il aimait passionnément sa fille, et, en la relevant dans ses bras, tout endormie, il recommanda qu’au jour de sa mort on l’enterrât à la place où la chère petite avait reposé sa tête. Vous voyez que l’on n’a pas oublié son vœu. »

Smike ne fit pas d’observation sur le moment, mais le soir, comme Nicolas était assis à son chevet, Smike tressaillit tout à coup comme s’il se réveillait en sursaut, et, mettant sa main dans celle de son ami, il lui adressa les larmes aux yeux une prière, c’était de lui faire une promesse solennelle.

« Qu’est-ce que c’est ? lui dit Nicolas avec douceur ; si j’ai le pouvoir, ou seulement l’espérance de la remplir, vous savez bien que ce n’est pas la volonté qui me marquera.

— Je le sais bien, répliqua-t-il. Eh bien, promettez-moi, quand je mourrai, qu’on m’enterrera près, aussi près qu’on y pourra creuser ma fosse, de l’arbre que nous avons vu aujourd’hui. »

Nicolas lui en fit la promesse, en peu de mots, mais graves et solennels. Alors son pauvre ami, gardant toujours sa main dans la sienne, se retourna comme pour dormir ; mais il poussa bien des sanglots étouffés, il pressa bien des fois la main qu’il tenait sur son lit avant de lâcher prise insensiblement pour sommeiller enfin.